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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

de son antagoniste, Grégoire ne trouvait, pour riposter, que des saillies du genre de celle-ci : « Oh ! si Marseille t’avait pour évêque, les navires n’y apporteraient plus d’huile ni d’autres denrées de ce genre, et seulement des pacotilles de papyrus, afin que tu eusses de quoi écrire à ton aise, pour diffamer les gens de bien. Mais la disette de papier met fin à ton verbiage[1]… »

Peut-être la mésintelligence qui divisait les évêques de Tours et de Nantes avait-elle des causes plus profondes que cette dispute accidentelle. L’imputation d’orgueil démesuré que Grégoire adressait à Félix donne lieu de croire qu’il existait entre eux quelque rivalité d’aristocratie[2]. Il semble que le descendant des anciens princes d’Aquitaine souffrait de se voir hiérarchiquement soumis à un homme de noblesse inférieure à la sienne, ou que, par un sentiment exagéré de patriotisme local, il aurait voulu que les dignités ecclésiastiques, dans les provinces de l’ouest, fussent le patrimoine exclusif des grandes familles du pays. De là vinrent probablement ses sympathies et ses intelligences avec la faction qui, à Tours, haïssait Grégoire comme étranger ; car il connaissait de longue main et il avait même favorisé les intrigues du prêtre Rikulf[3]. Ces mauvaises dispositions du plus puissant et du plus habile des suffragans de l’évêché de Tours n’empêchèrent point le synode provincial de s’assembler régulièrement et de faire justice. Rikulf, condamné comme fauteur de troubles et rebelle à son évêque, fut envoyé en réclusion dans un monastère dont le lieu n’est pas désigné[4]. Il y avait à peine un mois qu’il était enfermé sous bonne garde, lorsque des affidés de l’évêque de Nantes s’introduisirent avec adresse auprès de l’abbé qui gouvernait le couvent. Ils employèrent toutes sortes de ruses pour le circonvenir ; et à l’aide de faux sermens, ils obtinrent de lui, sur promesse de retour, la sortie du prisonnier.

  1. O si te habuisset Massilia sacerdotem ! Nunquàm naves oleum, aut reliquas species detulissent, nisi tantùm chartam, quò majorem opportunitatem scribendi ad bonos infamandos haberes. Sed paupertas chartæ finem imponit verbositati. (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 235.)
  2. Immensæ enim erat cupiditatis atque jactantiæ. (Ibid.)
  3. Felicis episcopi… qui memoratæ causæ fautor extiterat. (Ibid., pag. 264.)
  4. Cum consilio comprovinciatium eum in monasterium removeri præcipio. (Ibid.)