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allait passer ses jours à méditer sur la passion du Christ et sur son propre passage dans l’autre monde. On le fit retirer un moment pour concerter ce qu’il fallait lui demander.

Appelé de nouveau devant le conseil, on lui dit que sa condamnation à la prison perpétuelle ne le dispensait pas d’obéir, et que le roi pouvait lui imposer le statut aux mêmes peines qu’à tous ses autres sujets. Morus ne le nia pas. Cromwell lui parla de l’influence qu’allait avoir son exemple. « Que veut-on de moi ? répondit Morus ; je ne fais pas de mal, je ne dis pas de mal, je ne pense pas de mal ; si cela n’est pas assez pour garder un homme en vie, eh bien ! je ne désire pas de vivre plus long-temps. D’ailleurs je suis déjà mourant, et depuis que je suis entré ici, j’ai dû penser plusieurs fois que je n’avais pas une heure à vivre. Mon pauvre corps est à la disposition du roi. Dieu veuille que ma mort lui fasse du bien ! » Le conseil, que ces belles paroles embarrassaient cruellement, voulut rentrer dans la question ; mais Morus s’y refusa, déclarant qu’il ne parlerait plus. Alors Cromwell leva la séance, après lui avoir promis de ne pas prendre avantage de ses dernières paroles. On fit appeler le lieutenant, et on lui remit le prisonnier qu’il ramena dans sa chambre.

Le roi voulait que Morus se prononçât pour ou contre le statut. Les mêmes personnages revinrent donc à la Tour, quelques jours après, pour l’interroger de nouveau. C’étaient milord de Cantorbéry, le lord chancelier, lord Suffolk, lord Wilshire, et le secrétaire Cromwell, l’ame de ces interrogatoires, et, de tous les membres du conseil, le mieux disposé pour Morus.

On lui déclara quelle était la volonté du roi. Morus rappela encore une fois le conseil de Henry : « Servez Dieu d’abord, et le roi après Dieu. » C’était la seule vengeance de l’honnête homme.

On lui objecta les hérétiques qui avaient été obligés, sous sa chancellerie, de reconnaître le pape pour chef de la chrétienté, et de préciser leur croyance sur ce point. Morus protesta contre la confusion qu’on voulait faire entre deux cas si différens. Il dit que la loi en vertu de laquelle on avait contraint les hérétiques était fondée sur une croyance universelle, tandis que la loi au nom de laquelle on exigeait de lui qu’il se prononçât n’était qu’une loi particulière à un royaume ; or, en matière de croyances, remarqua-t-il, un homme est moins lié, dans sa conscience, envers un règlement local con-