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bles, faire vivre de la même sociabilité tant de personnes hétérogènes serait tout-à-fait impossible. Et puis dans nos froides régions du Nord, le besoin de parler n’est point aussi pressant que dans la chaude France, où les plus grands ennemis, quand ils se rencontrent dans un salon, ne peuvent garder long-temps un sombre silence. En outre, le désir de plaire est si grand en France, qu’on s’efforce de plaire, non-seulement à ses amis, mais encore à ses ennemis. On n’est occupé qu’à se draper et à minauder, et les femmes ont fort à faire ici pour surpasser les hommes en coquetterie. Pourtant elles y parviennent en définitive.

Cette remarque n’a rien, certainement rien de malveillant pour les femmes françaises, et moins encore pour les Parisiennes. Je suis au contraire leur adorateur le plus déclaré, et je les adore plus à cause de leurs défauts qu’à cause de leurs vertus. Je ne connais rien de mieux trouvé que cette légende qui fait venir au monde les Parisiennes avec toutes sortes de défauts, et suppose alors une bonne fée qui prend pitié d’elles et attache à chacun de ces défauts une séduction nouvelle. Cette fée bienfaisante est la Grace. Les Parisiennes sont-elles belles ? Qui peut le savoir ? Qui peut pénétrer toutes les roueries de la toilette, distinguer le vrai dans ce que le tulle trahit, ou le faux dans ce dont la soie ballonnée fait parade ? L’œil parvient-il à percer l’écorce, va-t-on pénétrer jusqu’au fruit, elles s’enveloppent aussitôt dans une écorce nouvelle, puis dans une autre, et c’est à l’aide de cet incessant changement de modes qu’elles défient l’œil de l’homme. Leurs figures sont-elles belles ? Il serait encore difficile d’arriver ici à la vérité. Comme tous ses traits sont dans un mouvement perpétuel, la Parisienne a mille visages, chacun plus riant, plus spirituel, plus avenant que l’autre, et elle embarrasse fort celui qui voudrait faire un choix dans ces visages ou deviner le véritable. Ont-elles les yeux grands ? Qui le sait ! Nous ne regardons pas au calibre des canons quand le boulet nous emporte la tête. D’ailleurs, quand ces yeux ne frappent pas, ils éblouissent au moins par leur feu, et l’on se trouve fort heureux d’être hors de leur portée. L’espace entre leur nez et leur bouche est-il large ou resserré ? Quelquefois large, quand elles portent le nez au vent ; quelquefois étroit, quand leur lèvre se dresse avec dédain. Leur bouche est-elle grande ou petite ? Qui peut savoir où cesse la bouche, où commence le sourire ? Pour bien juger, il fau-