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LES NUITS FLORENTINES.

cette fleur, ce lys sorti d’un tombeau, cette fille de la mort, ce spectre au visage d’ange, au corps de bayadère ! Je ne sais comment cela se fit ; c’était peut-être l’influence du fauteuil sur lequel j’étais assis ; je m’imaginai être le vieux général, qui la veille avait raconté la bataille d’Iéna et devait le lendemain compléter son récit, et je dis : Après la bataille d’Iéna, ma chère amie, toutes les forteresses prussiennes se rendirent dans l’espace de quelques semaines, presque sans coup férir. Magdebourg se rendit la première, c’était la place la plus forte : elle était armée de trois cents canons. Cela ne fut-il pas honteux ?

Laurence ne me laissa pas continuer : les idées noires avaient cessé d’assombrir sa belle figure. Elle rit comme un enfant et s’écria : « Oh ! oui, cela est honteux, plus que honteux ! Si j’étais une forteresse et que j’eusse trois cents canons, je ne me rendrais jamais ! »

Comme Mlle Laurence n’était pas une forteresse et qu’elle n’avait pas trois cents canons…

À ces mots, Maximilien interrompit sa narration, et après une courte pause, dit à demi-voix : — Maria, dormez-vous ?

— Je dors, répondit Maria.

— Tant mieux, reprit Maximilien avec un sourire ; je n’ai donc point à craindre de vous ennuyer, en décrivant un peu minutieusement, comme le font les romanciers du jour, tous les meubles de la chambre où je me trouvais.

— Dites ce que vous voudrez, cher ami ! je dors.

— C’était en effet un lit magnifique. Les pieds, comme ceux de tous les lits de l’empire, consistaient en cariatides et en sphynx, et le ciel brillait de riches dorures, particulièrement d’aigles d’or, qui se becquetaient comme des tourterelles ; c’était peut-être un symbole de l’amour sous l’empire. Les rideaux étaient de soie rouge, et comme les flammes de la cheminée les éclairaient d’une vive lueur, je me trouvais avec Laurence dans un demi-jour de feu, et me figurais être le dieu Pluton, qui, au milieu des clartés flamboyantes de l’enfer, enlace dans ses bras Proserpine endormie. Elle dormait en effet, et je contemplai, dans cette situation, sa belle tête, cherchant dans ses traits l’explication de cette sympathie que mon ame ressentait pour elle. Que signifie cette femme ? Quel sens se cache sous la symbolique de ces belles formes ? Cette gracieuse