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PÂQUES.

Dites s’il n’en est pas, aux jours d’effusion,
Qui, sortant tout à coup d’une propre blessure,
Et malgré vous peut-être, en la confusion,
Se mêlant au torrent, grossissent la mesure.
Même dans le saint lieu, même au pied de la croix,
Hommes, vous pleurez tous sur vos propres souffrances,
Sur vos illusions si belles d’autrefois,
Sur vos amours trompés, comme vos espérances.
Ah ! la douleur humaine est semblable au torrent
Qui tombe d’un seul jet du flanc de la montagne ;
Et puis, à chaque pas, s’augmente d’un courant,
Et n’arrive jamais dans la verte campagne
Sans avoir en ses flots, partout enveloppé,
Les algues, les graviers, et les eaux souterraines,
Et les petits ruisseaux, qui sont comme les veines
Du grand corps de granit dont il s’est échappé.
Sous les baisers de feu du soleil qui l’enivre,
L’onde vierge s’émeut sur la sainte hauteur ;
Et de grands bruits, roulant dans chaque profondeur,
Annoncent aussitôt qu’elle commence à vivre.
Et dès-lors, la vallée et la plaine en émoi
Attendent le torrent, leur vainqueur et leur roi.
Et, comme au premier chant des lointaines musiques,
Aux premiers bruits aigus du sonore clairon,
Femmes, enfans, vieillards, inondent les portiques,
Et de fleurs d’olivier se couronnant le front,
Entonnant tous en chœur les glorieux cantiques,
Agitent bruyamment des palmes dans leur main,
Attendant que le char passe sur le chemin,
Afin de l’entourer et de grossir le nombre
Des soldats triomphans qui marchent à son ombre.
Ainsi tous les courans, toutes les vives eaux,
Entendant le torrent qui gémit et qui gronde,
Commencent à sortir du stérile repos ;
Et déjà bouillonnant sous la voûte profonde,
Attendent le torrent pour se joindre à ses flots.
Et lui, se grossissant de ces eaux adultères,
Descend dans la campagne et féconde les terres.