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THOMAS MORUS.

Morus fut cité devant la barre du banc du roi, le 7 mai 1535, pour s’y voir accuser du crime de haute trahison. Il y avait un peu plus d’un an qu’il languissait à la Tour.

Il vint de la prison au palais de Westminster, à pied, malgré la longueur du chemin, s’appuyant sur un bâton, tant il avait été affaibli par les rigueurs de sa captivité, le corps voûté par la maladie, mais le visage calme et serein[1]. Les juges étaient : Audley, le lord chancelier ; Fitz-James, le lord chef de justice ; sir John Baldwin ; sir Richard Leister ; sir John Port ; sir John Pilman ; sir Walter Luke ; sir Antony Fitz-Herbert. Ces personnages composaient le banc du roi, lequel était chargé de diriger les débats, de recueillir le verdict du jury, et d’appliquer la peine.

L’attorney avait bâti un acte immense d’accusation, selon la pratique des officiers royaux de tous les temps, qui est de grouper mille crimes imaginaires autour de celui qu’on ne peut pas préciser. On avait espéré l’embarrasser dans ce chaos de détails, et énerver sa défense en l’éparpillant. Il vit le piége, et, dans l’interminable lecture de l’attorney, il distingua quatre chefs dont la réfutation devait faire tomber tout le procès et sauver son innocence, sinon sa vie. L’attorney, dans ses conclusions, le déclarait traître au roi et au royaume, pour avoir nié la suprématie spirituelle du roi, au principal, et pour mille autres crimes au particulier.

Lecture faite de l’acte, le lord chancelier, comme chef suprême de la justice, et le duc de Norfolk, comme membre du conseil, lui promirent qu’il obtiendrait son pardon du roi, s’il voulait abjurer son opinion. « Je prie Dieu, dit Morus, qu’il m’y affermisse et m’y fasse persévérer jusqu’à la mort. » On l’invita à se défendre. « Quand je pense, dit-il, combien l’acte d’accusation est long, et combien de griefs y sont mis à ma charge, je crains que mon esprit et ma mémoire, qui sont affaiblis, comme mon corps, par la maladie, ne me fournissent pas promptement les preuves que je devrais donner et que, dans un autre état, j’aurais pu donner. » Les juges lui firent apporter un siége, et il s’assit pour la première fois depuis son départ de la Tour. Alors il commença sa défense.

Le premier chef était son opposition au second mariage du roi. Il ne la nia pas ; mais il dit qu’il lui semblait qu’il en avait été assez

  1. Corresp. d’Érasme, 1764 A