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par M. Thiers au roi Othon, en faveur de la Russie, et en retour des concessions de cette puissance, et enfin les invitations royales adressées par la Prusse et l’Autriche aux ducs d’Orléans et de Nemours. Ajoutons que le grand nombre de Russes de distinction qui ont quitté l’Italie à l’époque où le choléra éclatait dans ce pays, et qui ont passé l’hiver en France, ont rapporté en Russie les témoignages les plus unanimes de l’esprit de calme et de sagesse qui anime la nation française, et de la crainte du désordre qu’elle allie à l’amour de la liberté. On voit que M. Thiers commence son ministère des affaires étrangères sous de beaux auspices, et qu’il sera bien malheureux s’il n’obtient pas de grands résultats.

Nous regarderions assurément l’alliance russe comme un fait favorable à la France, autant toutefois que notre position serait celle d’une puissance médiatrice et amie, et que cette alliance ne nous forcerait pas à rompre avec l’Angleterre, cette alliée qui nous est venue au moment où nous comptions autant d’ennemis qu’il y a en Europe de têtes couronnées. L’alliance russe conviendrait à la France, parce que, quelles que soient les bonnes relations de l’Angleterre avec la France, l’Angleterre ne perdra jamais de vue l’intérêt de ses possessions et de ses colonies, tandis que cette rivalité ne saurait exister entre la Russie et la France. L’alliance russe nous conviendrait encore, parce qu’il nous faut, à tout prix, des alliances continentales, parce que la Russie n’a pas intérêt à nous affaiblir tant que nous vivrons sur un principe d’ordre et de conservation, et parce qu’en effet, obéissant avec sagacité à ses intérêts, la Russie nous a soutenus en 1814 et en 1815, quand toute l’Europe, y compris l’Angleterre, nous accablait. Cette alliance nous convient encore, parce que le système des douanes allemandes ne peut être rompu que par des alliances qui dominent la Prusse, comme serait notre alliance avec l’Autriche et la Russie ; et enfin, pour traiter les questions purement morales en même temps que les questions matérielles, parce que nous obtiendrons plus de concessions de la Russie, en faveur de la Pologne, dans un seul jour d’alliance, qu’en six années de tracasseries diplomatiques et de menaces grondeuses, comme ont été ces six dernières années.

Et puisque cette alliance peut profiter au pays, peut-être convient-il mieux qu’elle s’accomplisse tandis que M. Thiers, séparé de M. de Broglie et de M. Guizot, se trouve placé à la tête du conseil et au département des affaires étrangères. La raison en est que nous regardons M. Thiers comme un homme entraîné, quoi qu’il fasse et quoi qu’il dise souvent, vers les sentimens et les principes de la gauche modérée ; ses goûts, ses études, ses vues, ses liaisons, ses habitudes, sa vie entière, tout le porte vers cet ordre d’idées, auquel on le verra toujours se rallier