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vogue alors des romans anglais avec force évènemens et émotions. Notre jeune écrivain essaya de faire de la sorte et y réussit. Son imagination l’aida dans cette combinaison assez naturelle et surtout attendrissante. Si on la compare à beaucoup des romans d’alors, la Chapelle d’Ayton paraîtra très raisonnable, très sobre d’exaltation, et pure de la sensiblerie régnante. L’auteur, ému mais toujours sensé, domine ses personnages, ses situations, les arrête, les prolonge ou les croise à son gré ; on y sent même trop cette combinaison de tête et l’absence de la réalité éprouvée et plus ou moins trahie. De jolies scènes domestiques, des intérieurs de famille, et la continuité aisée des caractères, attestent d’ailleurs cette portion de faculté dramatique, cette science de mise en scène et en dialogue dont Mme Guizot a fait preuve en bien d’autres ouvrages, dans ses Contes, dans l’Écolier, et jusque dans ses Lettres sur l’Éducation. Car à un degré modéré et dans les limites du moraliste, elle avait l’imagination inventive ; ses pensées, loin de rester à l’état de maxime, entraient volontiers en jeu et en conversation dans son esprit. Elle savait faire vivre et agir sous quelques aspects des caractères qui n’étaient pas de simples copies. Elle ne goûtait rien tant que ce don créateur là où il éclate dans sa merveilleuse plénitude. Molière, Shakspeare et Walter Scott étaient ses trois grandes admirations littéraires, les seules où il entrât de l’affection.

M. Suard avait fondé le Publiciste vers 1801. Ce que M. Guizot a si bien dit[1] sur le salon et la société de cet académicien distingué, se peut appliquer tout-à-fait à la feuille qui exprimait les opinions de son monde avec modération, urbanité, et d’un ton de liberté honnête. La philosophie du xviiie siècle, éclairée ou intimidée par la révolution, a dit M. de Rémusat, formait l’esprit de ce recueil. La Décade, qui allait tout-à-l’heure devenir impossible, représentait cette philosophie dans ce qui lui restait d’ardeur non découragée et de prosélytisme, dans son ensemble systématique et ses doctrines générales, et embrassait à la fois la politique, la religion, l’idéologie, la littérature. Le Journal des Débats relevait sur tous les points la bannière opposée. M. Suard, l’abbé Morellet et leurs amis, qui étaient des partisans du xviiie siècle et non de la révolution, qui s’arrêtaient volontiers à d’Alembert sans passer à Condorcet, et

  1. Revue française, septembre 1829.