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THOMAS MORUS.

femme lui offrit un verre de vin ; il le refusa en disant : « Le Christ à sa passion ne but pas de vin, mais du fiel et du vinaigre. » Deux malheureuses, apostées, dit-on, pour détruire l’effet de sa noble mort, l’apostrophèrent sur son passage. L’une lui redemandait certains livres qu’elle lui avait donnés en garde pendant qu’il était lord chancelier. L’autre se plaignait d’une injustice qu’elle avait reçue de lui dans le même temps. À la première, il répondit doucement que le roi l’allait débarrasser de tout souci de ses papiers, livres, et autres choses de ce genre ; à la seconde, qu’il se souvenait de son affaire, et que si c’était à recommencer, il rendrait la même sentence.

Le dernier qui l’interrompit, mais sans mauvais motif, ce fut un homme de Winchester, lequel ayant senti autrefois de violentes tentations de désespoir, s’était fait présenter par un ami à sir Thomas, alors chancelier. Morus lui avait promis de prier pour lui, et, depuis lors, trois ans s’étaient passés sans qu’il se ressentît de son mal. Quand Morus fut mis en prison, cet homme, ne pouvant plus le voir, avait été repris de ses tentations jusqu’à vouloir se tuer. Le jour de l’exécution, il vint à Londres, se mit sur le passage du cortége funèbre, et quand Morus passa, il le pria de se souvenir de lui dans ses prières, disant qu’il était enfoncé si avant dans le désespoir, qu’il ne pensait plus pouvoir s’en relever.

— « Allez, dit Morus, et priez pour moi, je prierai de grand cœur pour vous. »

Ce fut le dernier incident de la route.

Arrivé au pied de l’échafaud, il le trouva si branlant, qu’il dit au lieutenant de la Tour : « Veillez, je vous prie, à ce que je puisse monter sûrement ; pour la descente, je m’en tirerai comme je pourrai. » Comme il commençait à parler au peuple, le sheriff l’interrompit. Morus se borna à demander à la foule de prier pour lui, et d’être témoin qu’il mourait dans la foi catholique, et pour elle, fidèle serviteur de Dieu et du roi. Puis, s’agenouillant, il récita avec un grand recueillement le psaume Miserere. L’exécuteur lui demanda pardon. Morus l’embrassa et lui dit

— « Tu vas me rendre le plus grand service que je puisse recevoir d’aucun homme. N’aie pas peur de faire ton devoir. Mon cou est court ; prends garde de ne pas frapper à faux et sauve ton honneur. »