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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/458

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REVUE DES DEUX MONDES.

des convictions philosophiques, religieuses, très prononcées, et qui avaient quelque chose alors de la rigueur absolue de la jeunesse. Hostile au xviiie siècle et à son scepticisme, plus qu’à la révolution dont il acceptait les résultats, sauf à les interpréter et à les modifier, il rencontrait une disposition assez contraire chez Mlle de Meulan. Celle-ci, de plus, avait un peu pour idée, nous l’avons vu, « que le temps seul ramène les hommes à la raison et à la vérité ; mais que la raison et la vérité n’ont presque jamais convaincu personne. » Elle disait encore que « la raison, par malheur, n’est faite que pour les gens raisonnables. » Le jeune homme, sorti de Nîmes et de Genève, ayant gardé des ferveurs du calvinisme, une croyance de christianisme unitairien et une sorte d’enthousiasme rationnel, se sentait le devoir et le besoin d’aller à un but, d’y pousser les autres, de convaincre, de faire preuve au-dehors de cette pensée avant tout influente et active. En un mot, en se rencontrant tout d’abord, Mlle de Meulan et lui, à une grande élévation d’idées, ils y arrivaient partis d’origines intellectuelles diverses et presque contraires. Il est bien vrai que, durant ces années de long et sérieux travail Mlle de Meulan avait de plus en plus appris à se vouer au vrai, à le croire utile, à le défendre, à se passionner au moins indirectement pour lui, en cherchant querelle à toute erreur, et aussi à régler chaque acte de sa vie sévère par l’empire, déjà religieux, de la volonté et de la raison. Ce ne fut pourtant pas le moindre triomphe de l’esprit de M. Guizot que de conquérir, d’échauffer par degrés à ses convictions, à ses espérances, et de renouveler enfin, en se l’associant, cet autre esprit déjà fait, auquel long-temps le cadre de M. Suard avait suffi, et qui semblait avoir atteint sa maturité naturelle dans une originalité piquante.

Au reste, en voyant ce qu’il donna, on conclurait ce que lui-même il reçut. On ne conquiert, on n’occupe si intimement un esprit de la force de Mlle de Meulan, qu’en modifiant le sien propre et en l’assouplissant sur bien des points. Dans ces sortes d’actions réciproques, chacun même tour à tour semble avoir triomphé selon qu’on examine l’autre. Et ici, tout en gardant la direction dans l’influence, l’esprit victorieux dut subir et ressentir une part essentielle dans le détail, en diminution d’idées absolues, en connaissance précoce du monde et maniement de la société et des hommes.

Le mariage n’eut lieu qu’en avril 1812. À partir de ce temps, une