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tout le monde qui ignore le côté véritable des affaires, que tout se passait entre M. Thiers et M. Guizot, lutte et efforts communs, division et rapprochemens, discussions de mesures politiques et de systèmes. Or, il n’en était rien. La vérité est que M. Guizot, à part son système général de résistance et d’intimidation, agissait peu dans le conseil, quand il s’y débattait de grandes mesures politiques, et surtout quand on traitait des affaires extérieures qui sont les plus grosses affaires de ce temps. La raison en est que M. Guizot sait mal ces affaires, que, politiquement parlant, il est peu travailleur, et que, toujours prêt à composer un éclatant discours de tribune, il a peu de temps à donner à un mémoire ou à un rapport de cabinet, qui doivent rester dans l’ombre. En un mot, M. Guizot n’est pas trouveur autour d’une table du conseil ; il n’est pas doué de cette qualité qui distingue si éminemment M. Thiers, et qui l’a rendu indispensable même à M. Guizot. Elle manque même totalement à M. Guizot, tandis que M. de Broglie la possède à un certain degré. Au conseil, quand il prévoyait qu’il serait question des affaires de l’Europe, M. Guizot arrivait tard, il écoutait mal, et n’avait pas d’idée à lui. L’éminence de son esprit et sa supériorité bien constatée l’abandonnaient à ces heures-là. Croirait-on que dans la discussion de l’intervention en Espagne, M. Guizot se prit à dire à plusieurs reprises, et comme pour résumer la discussion : Eh bien ! on peut suivre les deux voies. C’est comme s’il eût proposé d’envoyer une armée entre le Rhin et les Pyrénées. — M. de Broglie, au contraire, est fécond ; il aime les affaires autant que M. Guizot aime le pouvoir, deux choses qui ne sont pas identiquement les mêmes ; il trouve au besoin des idées et des expédiens, mais il ne faut pas que ce besoin soit très pressant, car la faconde de M. le duc de Broglie n’est ni diligente ni rapide, et elle a besoin de délai et de repos. Or, dans un cabinet, quand les évènemens se pressent au dehors, ils ne sont pas de nature à attendre patiemment une décision ; un conseil est une bataille où la rapidité du coup d’œil et de la manœuvre décident de tout, et deux heures, prises sur la marche d’un courrier pour réfléchir, sont souvent aussi fatales que le retard d’un corps d’armée. Cependant, c’est ici le cas de dire le proverbe vulgaire : Mieux vaut tard que jamais. M. de Broglie arrivait tard avec son avis, mais son avis arrivait. Il prenait son temps pour réfléchir sur la question russe, la question espagnole