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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/519

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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

gles ; je me suis divertie de tes calembours, de notre ancienne prétendue passion, qui a pu, en tout temps, se traduire par une affection pure et profonde. J’ai retrouvé, après deux ans d’absence (qui renferment pour moi deux siècles de vie), toute cette ancienne vie, avec un plaisir d’enfant, avec une joie de vieillard. Eh bien ! mon pauvre ami, tout cela est entré, une journée entière, dans ce cœur usé et désolé ; tout cela l’a fait bondir de joie ; mais ne l’a ni guéri, ni rajeuni : c’est un mort que le galvanisme a fait danser, et qui retombe plus mort qu’auparavant. J’ai le spleen, j’ai le désespoir dans l’ame, Malgache ; dans trois mois, je n’y serai plus. Je me suis dit tout ce que je pouvais et devais me dire ; j’ai essayé de me rattacher à tout ; je ne puis pas vivre, je ne le puis pas. Je viens dire adieu à mon pays, à mes amis. Le monde ne saura pas ce que j’ai souffert, ce que j’ai tenté, avant d’en venir là. J’essaierais en vain de te faire comprendre mon ame et ma vie ; ne me parle pas de cela ; reçois mon adieu, et ne me dis rien : ce serait inutile. Viens me voir quelquefois pendant mon séjour ici, et parler du passé avec moi. J’aurai quelques services à te demander ; tu en accepteras l’ennui comme une preuve de confiance immense. Pense à moi, et si j’ai un tombeau quelque part, où tu passes un jour, arrête-toi pour y laisser tomber quelques larmes. Oh ! prie pour celle qui, seule peut-être, a bien connu et bien jugé ton cœur.


Lundi soir.

Merci, mon bon vieux Malgache, merci de ta lettre ; aucun remède ne peut être plus calmant et plus efficace que ces paroles d’amitié et cette douce compassion, dont mon orgueil ne saurait souffrir. Tu ne sais des malheurs de ma vie qu’une bien faible partie. Si le sort nous réunit quelques heures, je te les dirai ; mais l’important, ce n’est pas que tu les saches, c’est que ton affection les adoucisse. Va, le raisonnement, les représentations, les réprimandes, ne font qu’aigrir le cœur de ceux qui souffrent ; et une poignée de main, bien cordiale, est la plus éloquente des consolations. Il se peut que j’aie le cœur fatigué, l’esprit abusé par une vie aventureuse et des idées fausses ; mais j’en meurs, vois-tu ; et il ne s’agit plus, pour ceux qui m’aiment, que de me conduire doucement à ma tombe. Ôtez-moi les dernières épines du chemin, ou du moins semez quelques fleurs autour de ma fosse, et faites entendre