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Mes jours s’écoulent tristes comme la mort, et ma force s’épuise rapidement. Avant-hier, j’étais assez bien, je me sentais tomber dans une sorte d’apathie qui ne manquait pas de charme. La fatigue du cœur et celle du corps étaient si grandes en moi, qu’il ne me restait plus guère de sensibilité. J’avais accepté les ennuis et les plaisirs de la journée, et je ne m’étais pas dit comme les autres jours : — Pourrai-je vivre demain ? Je m’étais rejetée dans le passé et je savourais cette illusion imbécille au point de me croire transportée aux jours qui sont derrière nous. Je revins de la rivière avec Rollinat et ses enfans. Il faisait chaud, et le chemin était difficile. J’eus une sorte de bonheur à traverser une terre labourée, en portant Solange sur mes épaules. Maurice marchait devant moi avec son petit ami Constant, et le chien de la maison, quoique laid et mélancolique, nous suivait d’un air si habitué à nous, si sûr de son gîte, si nécessairement attaché à chacun de nos pas, qu’il me semblait faire partie de la famille. Rollinat riait à sa manière et débitait des facéties à ma mère, et je venais la dernière avec mon fardeau, partageant ma pensée entre les embarras de la marche et le souvenir de tes conseils. Voici, me disais-je, les plaisirs simples et purs que mon ami me vante et me souhaite. Et je ne sais pourquoi la fatigue, les cris joyeux des enfans, la gaieté de ma mère, quoique tout cela fût en désaccord avec la tristesse qui me ronge et l’accablement qui m’écrase, avaient pour moi un charme indéfinissable. Cela me rappelait nos courses au grand arbre, nos récoltes de champignons dans les prés, et la première enfance de mon fils qu’alors je rapportais aussi à la maison sur mes épaules. J’oubliais presque ces terribles années d’expérience, d’activité et de passion, qui me séparent de celles-là.

Mais ce bien-être dont je ne saurais attribuer le bienfait qu’à des circonstances matérielles, à l’influence de l’air, au silence délicieux de la campagne, à la bonne humeur de ceux qui m’entouraient, cessa bientôt, et je retombai dans mon abattement ordinaire en rentrant à la maison.

Rollinat est une des plus parfaites et des plus affectueuses créatures qu’il y ait sur la terre ; doux, simple, égal, silencieux, triste, compatissant. Je ne sais personne dont la société intime et journalière soit plus calme et plus bienfaisante ; je ne sais pas si je l’aime plus ou moins que toi, mon cœur n’a plus assez de vigueur