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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/526

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REVUE DES DEUX MONDES.

bouche close et serrée, sur son front que plisse une méditation perpétuelle, il me semble contempler l’humble courage et la triste patience revêtus d’une forme humaine. Ô amitié ! sobre de démonstrations et forte de dévouemens, qui te paiera de ce que tu supportes d’heures sombres et de funestes pensées auprès d’une ame moribonde ! Assis comme un médecin sans espoir au chevet d’un ami expirant, il semble tâter le pouls à mon désespoir et compter ce qu’il me reste de jours mauvais à subir. Désireux dans sa conscience d’entendre sonner l’heure de ma délivrance, navré dans son affection d’être forcé d’abandonner bientôt ce cadavre qu’il entoure encore de soins inutiles et généreux, il voit mon infortune ; il ne prie ni ne pleure ; il me fait un dernier oreiller de son bras et ne me dit point ce qui se passera en lui quand mes yeux seront pour jamais fermés. Ô Dieu juste ! donnez-lui un ami qui vive pour lui ! et qui ne l’abandonne point pour mourir !

J’ai souvent honte de cette lâcheté qui m’empêche d’en finir tout de suite ; ne sais-je donc me décider à rien ? ne puis-je ni vivre, ni mourir ? Il y a des instans où je me figure que je suis usée par le travail, l’amour ou la douleur, et que je ne suis plus capable de rien sur la terre ; mais, à la moindre occasion, je m’aperçois bien que cela n’est pas et que je vais mourir dans toute la force de mon organisation et dans toute la puissance de mon ame. Oh ! non, ce n’est pas la force qui me manque pour vivre et pour espérer ; c’est la foi et la volonté. Quand un évènement extérieur me réveille de mon accablement ; quand le hasard me presse et me commande d’agir selon ma nature, j’agis avec plus de présence d’esprit et de calme que je n’ai jamais fait. — Telle je suis encore, malgré tant d’affronts et de blessures dont on m’a couverte, malgré tant de fange et de pierres qu’on m’a jetées, dans le vain espoir de tarir la source vive et abondante des vertus que Dieu m’avait données. On l’a bien troublée, hélas ! et la beauté du ciel ne s’y réfléchit plus comme autrefois. Mais quand un être souffrant s’en approche, elle coule encore pour lui, et il peut y puiser sans qu’elle lui refuse son flot bienfaisant. Il y a plus : ce bien que je fais sans enthousiasme et même sans plaisir, ces devoirs que j’accomplis sans satisfaction puérile et sans espoir d’en retirer aucun soulagement, c’est un sacrifice plus austère et peut-être plus grand devant Dieu que les ardentes offrandes d’un cœur plus jeune et plus heureux ; c’est