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LETTRES D’UN VOYAGEUR.


Au Malgache.
15 mai 1836.

J’arrive au pays, et je ne t’y trouve plus ; une lettre de toi, datée de Marseille, m’arrive presque en même temps. Où vas-tu ?


D’où nous venons, on n’en sait rien ;
Où nous allons, le sait-on bien ?


Je t’écris par la Revue des Deux-Mondes ; tu l’ouvriras certainement à Alger.

Ce procès d’où dépend mon avenir, mon honneur, mon repos, l’avenir et le repos de mes enfans, je le croyais loyalement terminé. Tu m’as quittée comme j’étais à la veille de rentrer dans la maison paternelle. On m’en chasse de nouveau, on rompt les conventions jurées. Il faut combattre sur nouveaux frais, disputer pied à pied un coin de terre… coin précieux, terre sacrée, où les os de mes parens reposent sous les fleurs que ma main sema et que mes pleurs arrosèrent. Soit ! que la volonté de Dieu s’accomplisse en moi. Ce n’est pas sans un sentiment de dégoût qui va jusqu’à l’horreur, que je prends encore une fois corps à corps l’existence matérielle ; mais je me résigne et j’observe religieusement un calme stoïque. Le rôle de plaideur est déplorable. C’est un rôle tout passif, et qui n’a pas d’autre résultat que d’exercer à la patience. Agir est aisé, attendre est ce qu’il y a de plus difficile au monde. ......


Minuit.


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Ô souffle céleste, esprit de l’homme ! ô savante et profonde et complète opération de la divinité, rends gloire à l’ouvrier inconnu qui t’a forgé ! Étincelle échappée au creuset immense de la vie, atome sublime, tu es une image de Dieu, car tous ses attributs, tous ses élémens, sont en toi. Tu es l’infini émané de l’infini. Tu es aussi grand que l’univers, et tes plus chères délices sont d’habiter et de parcourir l’inconnu…

De quoi se plaint cette rachitique et hargneuse créature ? Que veut-elle ? À qui en a-t-elle ? Pourquoi se roule-t-elle à terre en mordant la fange de la vie ? Pourquoi, s’assimilant sans cesse à la brute, demande-t-elle les jouissances de la brute, et pourquoi tant