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révolutions. Lorsque le calme se sera fait, la Belgique s’effraiera à juste titre de sa prospérité croissante comme de l’indice même de ses embarras futurs. Alors elle tournera les yeux vers nous, elle parlera à l’intérêt des consommateurs, à la prévoyance des hommes politiques ; aux uns, elle offrira les matières premières à bas prix ; aux autres, un concours indispensable à l’action extérieure de la France. Alors, entre le leurre de la neutralité de la Belgique et son accession à l’alliance allemande, il faudra que notre législature prononce. On peut croire que le progrès des idées économiques, garanti par la modération dont elles viennent de faire preuve[1], aura rendu la transition moins difficile. On ne discute déjà plus le principe de l’abaissement graduel des tarifs, et les plus intrépides défenseurs du système de la production nationale confessent que ce bienfait ne saurait être acheté par des charges, plus onéreuses que ses résultats ne sont profitables. Pour les révolutions nécessaires, le seul art de l’homme d’état est de les préparer, en adoucissant les pentes et en empêchant que tout ne se fasse en un jour. Voici huit ans que l’Angleterre a commencé l’œuvre de la réforme, et la France doit faire pour son régime commercial ce que fait la Grande-Bretagne, pour ses institutions politiques.

La Belgique n’hésiterait jamais, même à des conditions moins favorables, entre notre marché et celui de l’Allemagne, car plusieurs de ses produits les plus importans, rencontreraient dans les qualités similaires, fournies à plus bas prix par la Saxe, une concurrence dangereuse. Mais si, d’un côté, toute espérance était fermée, que de l’autre les avances devinssent d’autant plus vives que la Prusse apercevrait mieux la double portée d’une accession dont le résultat serait de conduire sa ligne de douanes jusque sous les remparts de Lille et de Valenciennes, devrait-on s’étonner que le gouvernement belge finît par oublier des services dont tant de passions s’attachent déjà à éloigner le souvenir ? Jusqu’à ce jour le cabinet de Berlin n’a rien fait pour seconder ce mouvement signalé par trop d’indices[2] ; mais le moment de quitter le deuil de la maison de Nassau est venu, et déjà le ministre prussien à Bruxelles paraît prendre plus au sérieux une position qu’il avait d’abord très cavalièrement dessinée. On ne hasarde rien en prédisant qu’avant peu d’années, l’influence prussienne essaiera de dominer la nôtre à Bruxelles. Cette tentative échouera sans doute ; mais qui peut garantir l’avenir ?

  1. Discussion de la loi des douanes. Avril 1836.
  2. Plus de cinquante pétitions collectives des fabricans belges, demandant l’accession au système prussien, ont été présentées aux chambres pendant le cours de cette session même, et renvoyées aux ministres compétens.