plus que ma mort, je m’estimerais heureux, car la mort étant certaine pour tous, je dois tenir pour une faveur signalée de Dieu, que la mienne, quoique plainte de bien des gens, soit utile et reçue comme telle en sacrifice. Je voudrais avoir plus de temps que je n’en ai pour vous adresser des consolations, mais on ne m’en laisse pas ; et je ne voudrais pas moi-même tarder à recevoir la couronne que j’attends. Vous, madame, pleurez votre malheur, et non ma mort, elle est trop juste pour être pleurée par personne. Je laisse mon ame en vos mains, puisque c’est la seule chose que je possède ; madame, usez-en avec elle comme avec la chose qui vous aima le plus. Je n’écris pas à Pedro Lopez mon seigneur, parce que je n’ose pas, quoique j’aie bien été son fils en osant donner ma vie, je n’ai pas hérité de sa bonne fortune. Je ne veux pas différer davantage pour ne pas causer d’ennui au bourreau qui m’attend, et afin de ne pas laisser soupçonner que, pour prolonger ma vie, je prolonge ma lettre. Mon domestique Sossa, comme témoin oculaire de ma mort et confident de mes secrètes volontés, vous dira tout ce qui manque ici ; et ainsi je demeure, en mettant fin à cette angoisse, dans l’attente du couteau, de votre douleur et de mon repos. »
Voici maintenant sa lettre à Tolède, traduite littéralement comme la première.
« À toi, couronne d’Espagne et lumière du monde, toi qui fus libre dès le temps des Goths ; à toi, qui, à force de verser le sang étranger et de prodiguer le tien, as conquis la liberté pour toi et pour les villes tes voisines, moi, Juan de Padilla, ton fils légitime, je te fais savoir que le sang de mon corps va rafraîchir tes victoires passées. Si mon destin ne m’a pas permis de placer mes actions parmi les exploits qui t’illustrèrent, la faute en est à ma mauvaise fortune et non à ma bonne volonté. Je te prie donc de recevoir mon sacrifice comme une mère, puisque Dieu ne me donna pas plus à perdre pour toi que ce que j’ai risqué. Je tiens plus à ton souvenir qu’à ma vie. Considère que ce sont là les vicissitudes de la fortune, qui jamais n’a de repos. Seulement, je vois avec une joie pleine de consolation que c’est moi, le moindre de tes enfans, qui meurs pour toi, et que tu en as nourri à ton sein beaucoup d’autres qui pourront réparer mon injure. Bien des langues te raconteront ma mort ; je l’ignore encore, quoiqu’elle soit bien proche ; ma fin te rendra témoignage de moi. Je te recommande mon ame comme patrone de