Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
59
VOYAGES DE GABRIEL PAYOT.

— Mais, dit Payot, retournant son chapeau entre ses doigts, c’est que moi je suis ici, voyez-vous, comme vous étiez à Chamouny, et je ne me reconnais pas plus dans vos rues que vous dans nos glaciers, de sorte que j’ai pris un guide, un pays, un bon enfant, et lui ai dit de venir dîner avec moi pour la peine.

— Eh bien ! amenez-le.

— Ça ne vous dérangera pas ?

— Pas le moins du monde. Nous serons trois au lieu de deux ; voilà tout. Nous parlerons du Mont Blanc.

— C’est dit.

— À propos du Mont-Blanc ! vous avez pour moi une lettre de Balmat ?

— Oh ! c’est vrai,

— Que fait-il ?

— Eh bien ! il cherche toujours sa mine d’or.

— Il est fou.

— Que voulez-vous ? c’est son idée. Il serait riche sans ça ; il a gagné de l’argent gros comme lui. Mais tout ça s’en va, voyez-vous, dans les fourneaux. Ah ! il vous en parle dans sa lettre, j’en suis sûr.

— C’est bien, je vais la lire. — À midi.

— À midi.

Payot sortit. J’appelai Joseph, et lui ordonnai d’aller commander à déjeuner pour trois personnes au Rocher de Cancale. Puis je décachetai la lettre de Balmat. La voici dans toute sa simplicité.


« Par l’occasion de Gabriel Payot, qui va à Londres et qui passe par Paris, je vous dirai que deux messieurs, avocats à Chambéry, ont voulu faire l’ascension du Mont-Blanc, le 18 août dernier, mais qu’ils n’ont pu réussir, à cause du mauvais temps, vu que ces messieurs m’avaient bien fait visite avant de partir, mais qu’ils n’avaient pas pris mon conseil pour la sûreté du ciel. Alors ils ont été pris par un brouillard neigeux et ensuite par une bourrasque de grêle épouvantable, de sorte qu’ils n’ont pu monter que jusqu’au pré du Petit-Mulet ; mais là ils ont été renversés sur la neige à cause du gros vent, et forcés de redescendre, bien mal contens de n’avoir pas monté à la cime. Ce n’est pas ma faute, car, en passant devant ma maison, je leur avais prédit qu’ils auraient le brouillard. Mais les