Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
70
REVUE DES DEUX MONDES.

Au contraire de ce public capricieux qui demande toujours du nouveau, et repousse si souvent ce qu’on lui offre pour tel, le public chrétien a horreur des nouveautés. Dans le produit d’une année, les travaux récens figurent à peine pour un centième, encore n’annoncent-ils pas grands frais d’intelligence. La masse consiste en réimpressions d’ouvrages dont l’orthodoxie est constatée d’ancienne date. Les deux tiers environ sont à l’usage du clergé : on y remarque la théologie proprement dite, qui a conservé l’argumentation scolastique et le latin barbare du moyen-âge ; les livres pour l’exercice journalier du sacerdoce, tels que les liturgies, les sermons dont les prêtres chargent leur mémoire pour les répéter au besoin ; les traités historiques ou moraux, qui leur fournissent les élémens de la controverse familière, et de la direction des consciences.

Il faut que l’émulation des esprits soit bien subtile pour s’être communiquée à la milice cléricale. Son prosélytisme, il est vrai, paraît stérile par lui-même : il ne se manifeste jusqu’ici que par la réédification des monumens gigantesques élevés dans les siècles actifs du catholicisme. L’année 1835 marquera par la réimpression complète de Bossuet, de Fénelon, de Massillon, de Bourdaloue, de saint François de Sales, groupe majestueux et respecté. La collection choisie des Pères de l’Église, qui comptera les volumes par centaines, s’est enrichie de saint Éphrem le Syrien, et de saint Basile. Enfin, la concurrence se dispute saint Augustin, saint Bernard, saint Jean Chrysostôme (grec-latin), dont la réunion ne faisait pas moins de vingt-six volumes du plus grand format. Les belles éditions des frères Gaume méritent une mention à part. Elles reproduisent, avec quelques augmentations, celles des Bénédictins, admirables sous le rapport philologique, mais qu’on aurait pu compléter peut-être par des notes empruntées à des travaux historiques plus récens. À la juger par sa stérilité apparente, la critique sacrée, si richement cultivée en Angleterre et en Allemagne, reste indifférente, chez nous, aux recherches combinées des orientalistes et des archéologues. Elle s’en tient aux vieilles paraphrases latines, qui délaient les mots, pour en extraire le sens littéral ou mystique. En résumé, la théologie demeure à l’écart, retranchée dans son infaillibilité. À peine connaît-elle de nom les savans modernes qui ont fortifié par leurs démonstrations les hypothèses sublimes de la Genèse, ou les philosophes qui font sortir de la morale évangélique leurs théories de régénération sociale.

Avec de telles études, quelle sera l’action du clergé sur les personnes pieuses qui s’abandonnent à lui ? Quel langage tiendra-t-il aux déistes, aux matérialistes, aux indifférens, nations échappées à sa tutelle, et qu’il se promet naïvement de reconquérir ? L’inexorable statistique va répondre.

Les livres destinés aux laïques, et propagés sous l’influence du clergé, tiennent une grande place dans le total de la théologie. On compte 513 pe-