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LA PRESSE FRANÇAISE.

la palme me paraît appartenir à l’auteur de l’Art d’élever les lapins, et de s’en faire 5000 francs de revenu.

ÉDUCATION GÉNÉRALE.

Les maîtres de la civilisation, les savans et les philosophes, n’agissent pas directement sur la foule. Les obstacles à leur popularité sont nombreux. Les livres forts, ainsi qu’on les appelle, sont d’une acquisition difficile ; leur lecture demande beaucoup de temps ; comme ils s’appesantissent d’ordinaire sur un seul problème, il faut avoir une certaine somme de lumières, pour les rattacher utilement aux généralités d’une science. Il faut surtout (tant l’attrait du style est rare chez les hommes positifs), il faut la passion ou le besoin de connaître, pour pardonner aux doctrines fécondes, le négligé ordinaire de l’expression, et à des pensées jeunes, la caducité de leur allure.

Les découvertes des esprits spéculatifs seraient donc perdues si des travailleurs d’un autre ordre n’avaient l’art de les approprier aux intelligences débiles. Formons deux grandes catégories de ces livres destinés à répandre l’instruction : d’une part, ceux qui servent aux études du premier âge ; de l’autre ceux qui s’adressent au gros du public, aux personnes qui, à cause de leurs fonctions, ou simplement par paresse, n’accordent à la lecture qu’une faible dose de temps et d’attention.


i. Éducation de l’enfance. — Les librairies consacrées aux études élémentaires sont en général les plus actives, et celles dont le crédit commercial est le mieux établi. Elles doivent leur prospérité aux écoliers d’abord, qui, moins patiens que les autres lecteurs, ont bientôt fait justice d’un livre qui les ennuie, et puis, aux maîtres qui partagent presque toujours avec le libraire les bénéfices du renouvellement.

Les impressions de l’année, pour le seul usage des enfans, forment au moins une masse de 40,000 rames. Une grande partie consiste en réimpressions. Ce qu’on donne pour nouveau, n’est, à vrai dire, qu’une variation nouvelle, sur le vieux thème déjà renouvelé des Grecs par les Lhomond, les Crevier, les Rollin. L’œuvre a-t-elle des patrons dans la hiérarchie universitaire, elle est adoptée, et la spéculation devient excellente. Les libraires citent avec envie certains ouvrages qui, grace au seul nom d’un personnage influent, rapportent annuellement des bénéfices énormes et hors de toute proportion avec leur mérite. Ce qui, après l’appât du gain, multiplie outre mesure les livres d’éducation, c’est le besoin qu’ont les instituteurs d’avoir une méthode à eux, une enseigne qui les distingue du voisin. Il n’est pas indifférent de pouvoir essayer, sur un père de famille, la magie de ces quatre petits mots : « J’ai fait un livre… »