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ner à sa suite une société dans laquelle on n’a pas même su prendre la moindre place par le travail, la vertu ou le talent. On ne saurait trop s’élever contre ce pernicieux mélange de vanité et de paresse qui porte certains esprits à délaisser les nobles labeurs, la persévérance de tous les jours dans un art, dans une profession, dans la science, pour demander à de brutales violences un rôle éclatant, qui les gorge de jouissances et de bruit ; ils ont oublié que, dans tous les temps, la réputation et le bien-être n’ont été la conquête que de la constance. Pour tous les hommes vraiment illustres, la gloire et la fortune ont toujours été lentes à venir. Michel-Ange travaillait aussi rudement qu’un maçon.

La société devrait pourtant être comprise dans ses sentimens et ses volontés, car son attitude est un grave enseignement pour qui veut l’interroger et la servir ; elle est calme, elle se sent forte, elle ne se prend ni à la colère ni au désespoir, elle est sûre d’elle-même et de ses destinées. On dirait que dans son apathie plus apparente que réelle, elle sourit ironiquement des tentatives de ceux qui veulent l’emporter là où elle ne veut pas aller, à savoir en arrière ou au-delà des bornes nécessaires du présent et du siècle.

Il serait à désirer que les hauts fonctionnaires, qui représentent le double intérêt du gouvernement et de la société, montrassent, dans leurs actes et dans leurs proclamations, un sentiment vrai de l’état social. Les préfets, à l’occasion de l’attentat du 25 juin, ont adressé à leurs administrés une proclamation pour exprimer et appeler l’indignation générale de la France sur cet acte odieux. Plusieurs d’entre eux ont représenté l’état et la société même à deux doigts de leur ruine, si l’assassin eût réussi dans son exécrable dessein. Ils oublient donc que la mort tragique du roi, si affreuse et si déplorable qu’elle fût, ne saurait ébranler dans ses fondemens la constitution de la société. N’y aurait-il donc plus de lois, de Charte, de dynastie, de chambres, de magistrature, d’armée, de garde nationale ? N’y aurait-il donc plus de société, avec ses traditions, sa volonté, et la puissance de les faire triompher. Il est fâcheux que dans la haute administration on puisse noter une telle absence de tact. Ayez du zèle, messieurs, mais plus d’habileté. On ne vous demande pas des phrases d’adulation, mais de la bonne et ferme administration.

Avant le 25 juin, avant d’être exclusivement absorbée par l’attentat d’Alibeau, la presse quotidienne avait passé une longue revue de la session qui vient de finir. Les avis sévères n’avaient pas été épargnés à nos législateurs. À vrai dire, quelques-unes des censures n’étaient pas sans fondement. Il s’est perdu bien du temps que réclamaient d’utiles travaux interrompus ou à commencer. Toutefois, de l’aveu même des censeurs les plus austères, la chambre se recommande cette année par l’adoption de deux importantes mesures, empreintes l’une et l’autre d’un esprit de progrès et de perfectionnement notables. Nous voulons parler de la loi des douanes et de celle des chemins vicinaux. Deux lois libérales et populaires, est-ce donc si peu ? Une session est-elle absolument stérile quand elle les a produites ? Plusieurs des dernières sessions du parlement anglais ont été moins fécondes encore.