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LES MORTS.

lui permit de reprendre le temps de son noviciat où elle l’avait laissé, comme si ces dix ans d’interruption n’avaient duré qu’un jour, jour si chaste et si fervent, qu’il n’avait pas altéré l’état de perfection où était son ame lorsqu’à la veille de prendre le voile, elle avait été traînée à d’autres autels.

Elle fut une des plus simples et des plus humbles religieuses qu’on eût jamais vues dans le couvent. C’était une piété douce, enjouée, tolérante, une sérénité inaltérable, avec des habitudes élégantes. On dit que sa toilette de nonne était toujours très recherchée, et qu’en ayant été reprise en confession, elle répondit naïvement, dans le style du temps, qu’elle n’en savait rien, et qu’elle se faisait brave malgré elle et par l’habitude qu’elle en avait prise dans le monde pour obéir à ses parens ; qu’au reste, elle n’était pas fâchée qu’on lui trouvât bon air, parce que le sacrifice d’une jeunesse encore brillante et d’une beauté toujours vantée faisait plus d’honneur au céleste époux de son ame que celui d’une beauté flétrie et d’une vie prête à s’éteindre. J’ai trouvé une grace bien suave dans cette histoire.

Sachez, Trenmor, quel est le charme de l’habitude, quelles sont les joies d’une contemplation que rien ne trouble. Cette créature errante que vous avez connue n’ayant pas et ne voulant pas de patrie, vendant et revendant sans cesse ses châteaux et ses terres, dans l’impuissance de s’attacher à aucun lieu ; cette ame voyageuse qui ne trouvait pas d’asile assez vaste, et qui choisissait pour son tombeau tantôt la cime des Alpes, tantôt le cratère du Vésuve, et tantôt le sein de l’Océan, s’est enfin prise d’une telle affection pour quelques toises de terrain et pour quelques pierres jointes ensemble, que l’idée d’être ensevelie ailleurs lui serait douloureuse. Elle a conçu pour des morts une si douce sympathie qu’elle leur tend quelquefois les bras et s’écrie au milieu des nuits :

— Ô mânes amis ! ames sympathiques ! vierges qui avez, comme moi, marché dans le silence sur les tombes de vos sœurs ! vous qui avez respiré ces parfums que je respire, et salué cette lune qui me sourit ! vous qui avez peut-être connu aussi les orages de la vie et le tumulte du monde ! vous qui avez aspiré au repos éternel et qui en avez senti l’avant-goût ici-bas, à l’abri de ces voûtes sacrées, sous la protection de cette prison volontaire ! ô vous surtout qui avez ceint l’auréole de la foi, et qui avez passé des