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REVUE DES DEUX MONDES.

iv.

Florence est toujours le commentaire vivant de Dante. L’architecture, la sculpture, la peinture du xive siècle et la Comédie divine ont entre elles d’intimes ressemblances. Dans le silence des églises moitié gothiques, moitié lombardes, les fresques de Giotto, de Luppi, de Thaddeo Gaddi, donnent une certaine réalité aux visions du vieil Alighieri ; et sous l’archet peint des archanges s’exhale encore la mélodie de ses tercets. Dans les loges d’Orcagna, au bord de l’Arno, dans le fond des chapelles et des cloîtres, sur le seuil des palais guelfes ou gibelins, partout le poète pélerin vous apparaît au milieu du paradis de l’art florentin.

Dans les temps chrétiens, Florence a été le vrai pays des formes. Tout ce qui dans nos tristes contrées n’est que rêve, désir, espérance, regret, a pris là un corps et une figure déterminée. Un contour achevé a circonscrit toutes les images rapides qui passent aujourd’hui dans nos cœurs. Jamais les peuples d’artistes et de ciseleurs n’ont connu les vains fantômes qui s’élèvent dans le souvenir, et retombent sans laisser de traces. Tout ce qu’ils ont aimé, tout ce qu’ils ont haï, ils l’ont touché au doigt ; ils ont immortalisé le moindre de leurs songes ; et ces cieux d’amour ou de colère que l’homme fait et défait sans cesse à chaque instant, ils les ont fixés comme l’ombre sur la muraille.

Il est impossible de vivre à Florence sans s’y préoccuper de l’histoire de l’art, car on peut en suivre là les moindres phases comme au cœur même de l’Italie. C’est dans ce grand atelier que la tradition de l’antiquité s’est rencontrée avec l’idéalisme chrétien, et que leur mélange a produit ces formes sévères qui restèrent toujours inconnues à l’école de Venise. Même au milieu du moyen-âge, on y garda la tradition des arts païens. Dante y conversa avec Virgile. Les sculpteurs de Pise donnèrent aux cénobites du Nouveau-Testament quelque chose de la beauté des dieux antiques, et les peintres abreuvèrent de nectar olympien les lèvres des archanges. Comme l’église romaine avait absorbé dans ses rites les meilleurs souvenirs du paganisme, de même l’art florentin, qui fut aussi une sorte d’église, conserva quelques-uns des linéamens de l’art antique. De là naquit un genre de beauté qui, sans ressembler à aucune époque, avait pourtant des rapports avec toutes. Il semble que l’histoire de Florence soit comme la cité emblématique de Dante, et que l’on y monte de cercles en cercles, avec chaque siècle, jusqu’à la suprême beauté. Peu à peu une Grèce ressuscitée, sous les traits d’un ange mystique, s’y est assise dans le ciel de l’art. Une Italie nouvelle, plus belle que l’Italie an-