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les ronces de la campagne. Les cigales altérées criaient autour de lui ; et mon cœur, plus altéré mille fois que les cigales, s’élevait par bonds jusqu’à l’impression de cette foi perdue dont ces pierres portaient le témoignage. J’avais beau me retirer et changer de place, cette grande paupière s’ouvrait et s’abaissait toujours sur moi. Je voyais passer les nuages au-dessus de sa tête, et à quelque distance de là blanchir les murailles de la ville. Tout cela rappelait la légende du Christ voyageur à la porte de Rome. D’ailleurs, je n’étais pas seul ; au milieu des fûts de colonnes épars, il y avait une dizaine d’ouvriers qui sciaient des pierres en sifflant, emblème frappant de l’état de l’église spirituelle, et du petit nombre de ceux qui la relèvent. Depuis ce temps-là, j’ai vu les chefs-d’œuvre du Vatican ; mais rien ne m’a paru d’un effet plus saisissant, ni plus apocalyptique, que ce Christ du ive siècle, debout sur les ruines de sa basilique, au milieu des broussailles et des buffles de la campagne de Rome.

Les murailles qui entourent la ville, avec leurs petites portes, flanquées de tours, sont à peu près du même temps ; elles réveillent des impressions analogues. Quand on aperçoit de loin ces murs lézardés et leurs chétifs créneaux, il est impossible de se défendre d’une immense pitié. On se figure cette Rome dont les faubourgs touchaient à la Propontide et à l’Armorique, et qui se resserre de plus en plus à l’approche des invasions barbares. Elle se retire peu à peu comme une eau fétide et tarie ; d’abord elle se cache derrière le Rhin, puis derrière les Alpes, et son inexorable ennemi la suit à grands pas ; et le jour arrive où elle est tout entière enfermée, comme un archer blessé, derrière les créneaux de la Porta Pia et de Saint-Jean de Latran. Qui n’eût cru que c’était là sa dernière heure ? Mais quand cet abri lui manqua, elle jeta le glaive et prit la croix. Alors la foule se retira et disparut par mille chemins ; d’elles-mêmes les portes se refermèrent sur une Rome nouvelle, plus redoutée que l’ancienne. Au loin, la campagne resta frappée de stupeur ; et c’est le sentiment que l’on vit au milieu de ce perpétuel miracle qui exalte à la longue les plus froids, et qui fait de Rome le séjour le plus extraordinaire et le plus sérieux de la terre.

Si l’on veut voir combien cet effet est propre à ce pays, il faut comparer Rome à Athènes. Au milieu de sa forêt d’oliviers, Athènes restera toujours païenne. Les hommes auront beau la changer et la détruire ; ils n’empêcheront pas son ciel de s’épanouir, ni sa mer de sourire dans une perpétuelle olympiade. Sa campagne restera toujours riche et féconde. Ni la douleur ni la passion du Christ ne pèseront sur elle comme sur l’horizon romain. Toujours ses petites églises seront les desservantes des temples ; Périclès y fera oublier saint Paul ; et jusqu’à la fin des temps, Athènes ressemblera à ces jeunes catéchumènes dont le cœur restait