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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/183

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LES CÉSARS.

des questions politiques, on les met de côté. Ce parti-là qui fit à Paris la Satyre Ménippée, fit à Rome les Géorgiques de Virgile et les satires d’Horace.

Octave n’eut pas de peine à devenir chef de ce parti, il n’eut qu’à ne s’attacher fortement à aucun autre. Les forces vives du parti aristocratique, Brutus et Cassius, avaient quitté l’Italie ; leurs représentans à Rome, c’était Cicéron et de vieux sénateurs ; Antoine régnait à Rome, non comme consul, mais comme chef de parti, mais comme exécuteur testamentaire de César ; il donnait des charges, concédait des priviléges, nommait des sénateurs, dotait des villes, faisait des rois, dominait enfin comme une bacchante tout ce peuple qui voulait surtout être dominé : tout cela en vertu du testament de César ; le testament de César était infini, on découvrait un nouveau codicille chaque jour. Octave avait acheté une armée, lui respectueux héritier de César dont le nom était ainsi profané. Il mit son armée au service du sénat contre Antoine ; on applaudit, on le fêta, on le chargea de fleurs de rhétorique ; mais tout en l’embrassant et en se donnant l’air de le protéger, Cicéron disait tout bas : « c’est un enfant qu’il faut élever pour s’en défaire. » Nous ne pouvons rendre ici le calembour du grand orateur, qui en a fait encore bien d’autres : Ornandum puerum, tollendum.

Cet enfant (il avait vingt ans au plus) joua toutes les vieilles têtes du sénat. À la première bataille, Antoine fut vaincu ; mais les deux consuls républicains furent tués si heureusement pour Octave, qu’on le soupçonna d’avoir aidé le fer des ennemis. Débarrassé ainsi de ses auxiliaires, en qui il voyait des espions du sénat, il changea tout à coup de parti, et s’unit à Antoine vaincu, donnant comme principal motif de sa défection le calembour cicéronien que nous venons de citer.

Octave, associé à Antoine, prit les penchans de ce nouvel allié. L’Italie, qui leur fut livrée sans défense, fut inondée de sang. Dans cette proscription comme dans toutes les autres, depuis le galant Sylla jusqu’à l’incorruptible Robespierre, toutes les passions privées, toutes les haines, toutes les vengeances vinrent à la curée ; cette proscription fut d’autant plus abominable, que les passions politiques qui en étaient le prétexte, étaient déjà arrivées à leur période de refroidissement.

Brutus et Cassius avaient fait la faute énorme de quitter l’Italie,