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dettes ; au temps de Claude, il ne restait presque pas de celles que César ou Auguste avait élevées. L’atmosphère de cette époque comme celle de la nôtre, était pernicieuse à toute aristocratie ; les familles patriciennes redevenaient peuple et rentraient là d’où elles étaient sorties. Un Scaurus était marchand de charbon, comme avant leur élévation, c’est-à-dire peut-être trois siècles auparavant, les Cæcilius étaient bouchers. Chose remarquable et curieuse que ce mouvement des familles !

En outre la grande base des institutions romaines, la foi religieuse manquait. La révolution religieuse de ce siècle n’est pas encore bien comprise ; nous n’avons pas le temps de la développer ici, quoiqu’elle soit un des plus notables phénomènes de l’esprit humain. Disons seulement, et ceci mériterait d’être approfondi, que l’antiquité avait toujours compris une religion non comme un dogme, mais comme une coutume ; non comme une vérité abstraite et générale, mais comme une loi du pays, comme une portion de la nationalité ; il en résulta que le monde entier étant réuni sous les mêmes lois, l’antagonisme des peuples étant remplacé par une alliance obligée, les nationalités tombant, les religions tombèrent avec elles ; le Grec n’eut plus de croyance dès qu’il cessa d’être Grec ; le Romain n’eut plus de dieux quand sa Rome devint cosmopolite. De là le scepticisme et l’incrédulité au temps de César.

Au temps d’Auguste (et cela devait être) commença une réaction ; Auguste l’aurait bien voulu romaine, mais cela n’était pas possible. Elle fut vague, ubiquiste, indéfinie : quand toutes les nations se rapprochaient par la vie sociale et par la pensée, l’idée d’un dieu romain ou d’un dieu grec, la croyance d’un Jupiter olympien ou d’un Jupiter capitolin, le dogme de la nationalité des dieux, si naïvement exprimé dans la prière, ou plutôt dans la sommation peu respectueuse que les Romains adressaient aux dieux d’une ville assiégée : « Dieu de cette ville, que tu sois homme, ou que tu sois femme, sors de la ville, et viens avec nous ; » tout cela devenait évidemment trop absurde. Au lieu des dieux de la nation, on chercha les dieux du genre humain ; on les prenait à l’Égypte, à la Syrie, à la Judée ; partout on empruntait quelque divinité, quelque pratique, quelque purification, quelque prière. Ce fut le plus superstitieux de tous les siècles. Les historiens n’écrivent pas deux pages sans parler d’un présage, d’une