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qu’il y avait en Égypte, au iiie siècle de l’ère chrétienne, deux langues, différant très notablement l’une de l’autre, tant pour les mots que pour la syntaxe, dont l’une, absolument inconnue jusqu’à nos jours, s’employait sur les monumens, tandis que l’autre, la langue copte, était à l’usage de la population. Mais où est la démonstration de l’existence d’une langue monumentale différente de la langue copte, ailleurs que dans la certitude de la méthode qui l’a fait découvrir ? où peut être la certitude de la méthode nouvelle, ailleurs que dans l’identité des résultats qu’elle fournit avec la langue copte que nous connaissons ? La méthode ne saurait être démontrée par la chose nouvelle qu’elle nous fait connaître, en même temps que cette chose nouvelle serait démontrée par la méthode. Je me hâte de dire que M. Champollion, tenant les yeux constamment fixés sur les monumens pharaoniques, n’a point été conduit comme nous à voir deux langues contemporaines ; il a vu seulement deux états d’une même langue, dont l’un, celui que nous connaissons (l’égyptien moderne, la langue copte), ne différait de l’autre, qu’il appelle l’égyptien antique, que par suite de l’action des siècles. Mais la conséquence à laquelle nous sommes arrivés est forcée ; elle ressort de tous les exemples cités dans la grammaire de M. Champollion.

Comparons, en effet, avec la langue copte les traductions, que nous donne l’auteur, des inscriptions de l’époque romaine ; vous allez voir si la différence n’est pas suffisante pour qu’il faille reconnaître dans ces traductions une langue tout-à-fait nouvelle. Nous rencontrons d’abord un groupe que M. Champollion lit enter, et qu’il traduit par Dieu : mais dans les livres coptes, Dieu n’a jamais été rendu autrement que par noute. Un autre groupe est lu par M. Champollion tfe ou etf, et rendu par le mot père ; mais pour représenter l’idée père, la langue copte ne connaît pas d’autre mot que iôt. Un troisième groupe, connu pour représenter l’idée roi, est lu par la nouvelle méthode sout ou souten, tandis que la langue copte n’admet pas d’autre expression pour l’idée roi que ouro, erro. Un quatrième groupe qui répond à l’idée fils, est lu par M. Champollon si ou se, tandis que la langue copte n’a point d’autre mot que schiri, schire. Sans nous arrêter à citer des mots isolés, ce qui nous conduirait à reprendre en détail tous les groupes lus par M. Champollion, citons des phrases entières. Sur le pronaos d’Esné, dont, comme nous l’avons dit, les sculptures portent le nom de Septime Sévère, M. Champollion lit cette phrase : Her chet enter enerpe pen, qu’il traduit ainsi, et aux autres dieux de ce temple. À l’exception de erpe, mot réellement copte, mais qui n’est point obtenu au moyen de la nouvelle méthode, puisqu’il répond à un caractère symbolique, rien dans cette lecture n’a le moindre rapport avec la langue que l’on parlait en Égypte au temps de