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DE L’ESPAGNE ET DE SON HISTOIRE.

sions, soit en recueillant la monarchie tout entière ; créer au roi très chrétien des prétentions que la force saurait bien ériger en droits ; lui ménager dans tous les cabinets de l’Europe, depuis la cour du roi catholique jusqu’à celle du plus mince électeur, un patronage qui mît à sa solde les princes ou leurs ministres, leurs favoris ou leurs favorites, tel fut le legs que l’Italien fit à la France. Jamais pensée ne fut servie par un corps diplomatique plus intelligent et plus soumis, plus fanatiquement dévoué à la gloire personnelle du souverain et à l’agrandissement de l’état. Dans son sein le secret demeurait inviolable ; chez lui, le sentiment de la force n’ôtait rien à une prudence minutieuse dans les détails et peu scrupuleuse dans les moyens. Ce n’était jamais qu’après avoir préparé le terrain, sans laisser au hasard rien de ce que l’habileté pouvait lui ôter, que ce gouvernement, si superbe dans ses formes et pourtant si réservé dans sa conduite, se livrait à ces actes d’éclat dont il avait d’avance calculé la portée et mesuré toutes les conséquences.

Louis XIV, qui, dans sa jeunesse, avait eu M. de Lionne pour endormir l’Europe sur ses projets, trouva, sur ses derniers jours, M. de Torcy pour le réconcilier avec elle. En 1668, le chevalier de Grémonville avait signé à Vienne un premier traité de partage de la monarchie espagnole, demeuré secret jusqu’à nos jours[1]; en 1713, Mesnager négociait à Utrecht, sur des bases sinon semblables, du moins analogues ; et à travers tant de vicissitudes et de calamités, il renouait la chaîne long-temps interrompue des saines traditions politiques.

Sous la régence, le caractère des négociations politiques change avec celui des évènemens. Ce ne sont plus ces vues ambitieuses et hautes, ces projets persévérans et à longue échéance, attributs d’un pouvoir sûr de lui-même. Il faut acheter des appuis au dehors pour résister aux ennemis du dedans ; on est, d’ailleurs, en face d’Alberoni, boute-feu dont il s’agit d’éventer plus encore que de combattre les projets téméraires et sans suite. L’intrigue succède à la politique, l’imbroglio à la guerre ; on assassine les courriers, au lieu de livrer des batailles ; à Madrid comme à Paris, on dépense à soustraire et à déchiffrer les dépêches, les soins que don Louis de Haro et Mazarin consacraient à composer les leurs. Cellamare

  1. Documens publiés par M. Mignet, tom. ii, part. 5, sect. 3.