Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/287

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
283
LE MAROC.

dre une assez juste idée de l’industrie et de la civilisation indigènes. Il y règne moins de confusion qu’on ne pourrait croire ; les diverses denrées sont rangées par ordre, et l’on circule d’un point à l’autre sans trop de difficulté. Des soldats, armés de fusils ou de bâtons, vont de groupe en groupe, et un officier spécial préside la cérémonie. Tout individu qui enfreint les ordonnances de la police est châtié sur place, de même que ceux qui trompent sur les poids et mesures ou sur la qualité et le prix des marchandises. Cette justice économique a ses avantages si elle a ses abus, et c’est la seule qui convienne à ces peuples barbares ; leur abjection est si grande, qu’ils n’en comprendraient pas d’autre.

La place du marché est dominée par une colline au sommet de laquelle est une mosquée ouverte et sans toit, c’est-à-dire quatre murs blancs. C’est là qu’on célèbre la fête du mouton. Au mois de mai de chaque année, on égorge un mouton devant la mosquée ; un des assistans, celui d’ordinaire qui a les meilleures jambes, charge sur son cou l’animal saignant, mais vivant encore, et se met à courir avec son fardeau du côté de la ville ; il y entre, courant toujours, et s’il arrive à la grande mosquée avant que l’animal moribond ait rendu le dernier soupir, c’est un signe que l’année sera féconde et les récoltes abondantes ; si au contraire l’animal meurt en route, c’est un présage de stérilité, et l’on voit aussitôt la population pousser des cris et des gémissemens sur les calamités annoncées.

Non loin de la mosquée ouverte est le tombeau d’un santon, ombragé de son drapeau rouge. Comme j’étais là me promenant à l’entour, je vis un Maure gravir la colline à toutes jambes et s’élancer d’un bond vers le sanctuaire ; il y entra, car tout sanctuaire est ouvert, aucun n’a de porte ; une fois dedans, il s’accroupit tranquillement sur les talons tout près de l’entrée, de manière à jouir de la vue extérieure et à être vu du dehors. C’était un assassin qui venait de tuer son homme en plein marché et qui était accouru se mettre sous la sainte protection du droit d’asile. Une fois là il était inviolable, et nulle force humaine, pas même, je crois, l’imam suprême, ne pouvait l’arracher du saint lieu. Les soldats arrivèrent, mais trop tard, le fugitif était à l’abri de leurs poursuites ; quoiqu’ils pussent le toucher en étendant seulement la main, pas un n’aurait eu la témérité de la porter sur lui ; tant qu’il était