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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/294

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REVUE DES DEUX MONDES.

synthèse est complète en ce sens qu’elle compose la somme totale des forces mises en commun, et qu’elle a touché, dans ses dernières tentatives, à la limite de l’impuissance. Toutes les théories que la foi nouvelle pouvait proclamer ont été proclamées, les unes hardiment, les autres timidement. Elles l’ont été, il faut savoir en convenir, d’une manière utile pour la réforme des sociétés modernes ; car n’eussent-elles rien, ces théories, d’immédiatement applicable, elles auront du moins, et c’est un grand résultat, secoué de leur sommeil la propriété et l’héritage, puissances inattaquées jusqu’à ce jour. Désormais sans doute, au lieu de chercher à agrandir leurs droits de frelons sur les divers élémens de l’activité humaine, ces deux despotes de la richesse tendront à se fondre et à se combiner avec le travail, pivot probable de la socialisation à venir.

Il est dans notre conviction que le saint-simonisme aura été plus profitable et plus fécond comme menace que comme appel. S’il a rallié peu de sympathies en dehors de sa petite sphère de néophytes, en revanche il a effrayé bien des priviléges qui s’étaient promis une marche calme et lente vers des envahissemens ultérieurs. Voilà le service le plus réel qu’il ait rendu. Il a tout critiqué avec verve, avec talent, avec supériorité ; mais il s’est montré impuissant à trouver une bonne et complète formule d’organisation. Nous voulions indiquer ce fait avant d’entrer dans son histoire. Nous désirions établir aussi que l’heure actuelle était bien choisie pour un examen de ses travaux. On doit aux morts la vérité tout entière.


i. — SAINT-SIMON.

« Levez-vous, monsieur le comte, vous avez de grandes choses à faire. » C’est avec ces mots que se faisait éveiller, à dix-sept ans, Saint-Simon, issu, s’il faut l’en croire, de Charlemagne, et incontestablement porteur d’un des plus beaux noms de notre histoire. Nulle vie ne fut, en effet, plus tourmentée que celle du chef posthume de la religion nouvelle. Soldat de l’indépendance américaine, il servit sous Washington et passa colonel à vingt-trois ans. « La guerre, en elle-même, ne m’intéressait pas, dit-il, mais le seul but de la guerre m’intéressait vivement, et cet intérêt m’en faisait supporter les travaux sans répugnance… Ma vocation n’était point d’être soldat ; j’étais porté à un genre d’activité bien diffé-