Vertu ou vice, Saint-Simon s’y ruina complètement, et alors, au lieu de pouvoir héberger et nourrir la science, ce fut au tour de la science de l’héberger et de le nourrir. Elle s’y prit moins magnifiquement que lui, car elle destinait le philosophe à une dernière expérience, celle du besoin et de la misère. Pressentant cette phase décroissante, Saint-Simon avait déjà jeté le plan d’une rémunération populaire pour les savans et les hommes de génie, dans ses Lettres d’un habitant de Genève à ses contemporains, morceau bizarre et neuf qui trahissait le tour de ses idées. « Ouvrez, disait-il, ouvrez une souscription devant le tombeau de Newton, souscrivez tous indistinctement pour la somme que vous voudrez. — Que chaque souscripteur nomme trois mathématiciens, trois physiciens, trois chimistes, trois physiologistes, trois littérateurs, trois peintres, trois musiciens. — Renouvelez tous les ans la souscription ; partagez le produit de la souscription entre les trois mathématiciens, les trois physiciens, etc., qui auront obtenu le plus de voix. — Les hommes de génie jouiront alors d’une récompense digne d’eux et de vous. »
Tel était le thème. Le développant dans une série de lettres, Saint-Simon partageait l’humanité en trois grandes catégories, cherchant à prouver à toutes, et avec des argumens appropriés à chacune, l’excellence de sa méthode de rémunération ; puis il établissait la formule suivante : le pouvoir spirituel entre les mains des savans ; le pouvoir temporel entre les mains des propriétaires ; le pouvoir de nommer les individus appelés à remplir les fonctions de grands chefs de l’humanité entre les mains de tout le monde : pour salaire aux gouvernans, la considération. — Tout ceci, on le voit, a peu de valeur ; c’est du Platon et du Bernardin à l’état d’amalgame ; c’est un rêve après mille rêves, une innocente utopie qui se termine par une sorte de prosopopée, épilogue du morceau : « Rome renoncera à la prétention d’être le chef-lieu de mon église ; le