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On a tant parlé de ce morceau, on l’a exalté avec une affectation si épique, qu’il nous semble utile de ramener les choses dans le vrai. La pensée de Saint-Simon, dans son évangile contemporain, n’est ni saillante, ni neuve. Il s’agit toujours d’un plan de réforme religieuse, basée sur cet argument à l’usage des schismatiques de toutes les époques, depuis Arius jusqu’à M. l’abbé Châtel, en passant par Luther : que le christianisme a été détourné de ses voies, et que la profanation est aujourd’hui flagrante dans toutes les églises. L’auteur, après quarante autres, commence par établir la grande scission entre la parole divine et la parole humaine, entre les révélations et les commentaires, entre le texte et la glose ; puis, ces prémisses posées, il se résume en concluant que le christianisme, progressif de sa nature, n’aurait pas dû s’immobiliser dans des entraves canoniques ; et qu’au contraire, recevant autant d’impulsion qu’il en donnait, agissant sur le siècle, comme le siècle agissait sur lui, il aurait dû se modifier suivant les mœurs, suivant les pays, suivant les peuples, suivant les âges, et ne conserver d’éternel que cet adage évidemment divin : « Aimez-vous les uns les autres. » Le Christ n’avait pas dit autrement.

Quand il arrive à la démonstration, Saint-Simon rencontre pourtant sa nouvelle et belle formule, celle qu’on aurait compromise en expériences maladroites, si elle n’était pas une vérité hors d’atteinte. De l’adage : « aimez-vous les uns les autres, » il tire le principe suivant : « la religion doit diriger la société vers le grand but de l’amélioration la plus rapide possible du sort de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. » Tout est là selon le maître. Unité religieuse, infaillibilité sacerdotale, durée du culte, sa moralité, son influence, tout est là. C’est le nouveau christianisme en trois lignes. S’agit-il en effet de trouver les prêtres du culte régénéré ? Il va sans dire que les prêtres seront forcément et naturellement les hommes les plus capables de contribuer, par leurs travaux, à l’accroissement du bien-être de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. Seulement il reste à régler le choix et l’échelle hiérarchique des hommes les plus capables. Sur ce point, Saint-Simon n’avait rien fixé, rien prévu ; il posait sa religion à l’état purement spéculatif. Dans la pratique, l’organisation hiérarchique des plus capables a été une difficulté presque insoluble. Saint-Simon tournait la difficulté sans l’aborder ;