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même devrait être ignorée ; lecture trop métaphysique d’ailleurs, et qui n’est pas une des causes les moins actives du dévergondage nébuleux des philosophies allemandes. Donc, sur ces trois chefs, Luther est hérétique comme le pape l’a été sur d’autres chefs. L’un et l’autre ont dévié du grand axiome religieux, du but essentiel de toute loi et de tout dogme : l’amélioration de l’existence morale et physique de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre.

Pour rétablir le christianisme dans ses voies, il fallait, toujours suivant Saint-Simon, lui restituer un côté matérialiste dont l’absence le frappe de stérilité dans son action sociale. Le mot de Jésus-Christ : Mon royaume n’est pas de ce monde, mal compris et plus mal pratiqué, avait établi, dans la religion ancienne, une lutte éternelle et indéfinie entre la matière et l’intelligence, le corps et l’esprit. Cette lutte devait cesser ; le culte nouveau devait être un fait à la fois social et religieux.

Tel est le Nouveau Christianisme, dans lequel l’auteur a mérité qu’on dît de lui ce qu’il disait de Luther : Il a bien critiqué, mais pauvrement doctriné. De cet opuscule ont découlé, pour les disciples de Saint-Simon, d’abord les deux ou trois épigraphes de la foi nouvelle, puis l’appel aux capacités pour qu’elles eussent à concourir au grand œuvre de la rénovation religieuse et sociale ; puis encore cet apostolat, tout de persuasion et d’amour, cette nouvelle communion de martyrs à laquelle il n’a manqué que des bourreaux plus farouches ; enfin le principe vieux, mais oublié, de l’affection fraternelle entre les hommes, base de la nouvelle organisation sociale qui remplacera la force militaire par l’union pacifique, qui dissoudra l’armée pour enrégimenter les travailleurs.

— Jésus-Christ a préparé la fraternité universelle, dirent les successeurs du prophète ; Saint-Simon la réalise. L’église vraiment universelle va paraître : le règne de César cesse. L’église universelle gouverne le temporel comme le spirituel, le for extérieur comme le for intérieur. La science est sainte, l’industrie est sainte. Des prêtres, des savans, des industriels, voilà toute la société. Les chefs des prêtres, les chefs des savans, les chefs des industriels, voilà tout le gouvernement. Et tout bien est bien d’église, et toute profession est une fonction religieuse, un grade dans la hiérarchie sociale. — À chacun selon sa capacité ; à chaque capacité selon ses œuvres. — À côté du texte de Saint-Simon, telle est la glose saint-simonienne.