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claire, ces tons lumineux que le peintre admire sans pouvoir les exprimer. Plus loin, l’aspect des montagnes change ; à leur base, elles se confondent avec l’eau de la mer ; à leur sommet, elles se revêtent d’une couleur de pourpre et d’opale, elles ont un manteau de neige qui éblouit, et des pointes de glace qui ressemblent à une couronne de diamans ; et quand le ciel est clair, quand l’extrémité du golfe, le Sneefels, se lève sous le disque du soleil avec sa tête éternellement chargée de frimas, il apparaît au-dessus des vagues comme un nuage d’or. En ce moment toute cette partie de l’Islande a l’aspect d’une contrée méridionale. La Méditerranée n’est pas plus limpide que cette mer du Nord, le ciel du midi n’est pas plus beau. Tandis que partout ailleurs l’obscurité enveloppe la terre, le jour le plus pur sourit à la chaumière de l’Islandais. Alors les enfans du pêcheur montent sur leur toit de gazon, et passent là de longues heures comme sur une terrasse italienne. J’ai rencontré ainsi un soir deux enfans, un frère et une sœur, assis au haut de la cabane de leur père ; la jeune fille, avec ses blonds cheveux flottant sur les épaules, s’appuyait sur son frère ; un mouton jouait autour d’eux, et devant la porte de la cabane, la grand’mère tournait une quenouille chargée de laine. On eût dit d’une idylle de Théocrite, d’un poème d’André Chénier, transportés dans ces froides régions du Nord, et l’imagination du peintre n’eût pu inventer un groupe plus gracieux, au milieu d’un paysage plus imposant.

À quelque distance de la ville, on peut rêver le désert, la solitude la plus absolue. Toutes les maisons disparaissent entre les collines qui les abritent, et l’on n’aperçoit que la mer, les montagnes et le ciel. Là règne le silence des lieux inhabités. Pas une voix humaine ne se fait entendre, pas un chant d’oiseau ne s’élève dans l’air, pas une feuille ne soupire. Tout est calme, repos, sommeil ; et si après avoir contemplé ce tableau oriental, on reporte ses regards sur cette terre si nue, sur ces landes rocailleuses qu’on a à ses pieds, on dirait que la nature a jeté là par grandes masses tous les élémens d’une création splendide, et ne s’est pas donné la peine d’achever son œuvre.

Ne pourrait-on pas attribuer à ces magnifiques scènes de la nature, à ces contrastes si vivement tranchés, l’amour que les Islandais portent à leur pays ? Quand ils ont été attristés pendant six mois par l’aspect d’une nuit continuelle, un jour continuel vient aussi pendant six mois les récréer. Quand ils ont regardé avec ennui leur terre couverte de lave et de rochers, ils peuvent saluer avec enthousiasme la belle mer, les majestueuses montagnes qui se découvrent à leurs yeux. Quand la tempête a ébranlé leur cabane et battu pendant plusieurs heures leur fragile chaloupe, n’est-ce pas pour eux une grande joie que de voir les vagues se calmer et les