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fois qu’en troisième ligne de bataille. C’est ce qui explique l’influence exclusivement anglaise et prussienne qui domina les transactions de 1815. Alexandre se posa comme protecteur des intérêts français, autant par générosité de caractère que par la rivalité naturelle qui se montrait dès-lors entre la Russie et l’Angleterre. Dans cette circonstance, l’action de M. de Nesselrode fut aussi puissante sur l’esprit de l’empereur que celle du comte Pozzo ; ils rendirent de grands services à notre pays, il faut le reconnaître ; ils nous sauvèrent d’un morcellement de territoire et d’une indemnité pécuniaire qui s’élevait au-dessus des ressources de la France.

Dès cette époque commence à poindre une rivalité dangereuse pour le comte de Nesselrode : nous voulons parler de Capo d’Istria. Le comte Capo d’Istria était né dans les îles Ioniennes, au sein de cette population grecque si souvent encouragée par les czars à conquérir sa liberté ; il était l’ami d’Ypsilanti, de toute cette génération ardente qui combattait pour l’indépendance hellénique. Son crédit remontait à ses négociations en Suisse en 1815, négociations qui eurent pour résultat un nouvel acte de médiation. Capo d’Istria fut quelque temps après appelé à partager, avec le comte de Nesselrode, le ministère des affaires étrangères, et la cause grecque trouva en lui un appui constant, un interprète chaud et fidèle.

C’était, nous le répétons, une véritable rivalité, car le comte de Nesselrode appartenait essentiellement aux idées et à l’école européennes. La pensée dominante de cette école, depuis 1816, était la répression du mouvement libéral produit par la grande résistance populaire aux conquêtes de Napoléon. M. de Nesselrode s’était sur ce point tout-à-fait rapproché de M. de Metternich ; tous deux voyaient avec chagrin l’empereur Alexandre livré à l’école libérale hellénique du comte Capo d’Istria. La difficulté politique se compliquait d’une question religieuse : il y avait sympathie entre les deux églises grecques de Moscou et d’Athènes ; les patriarches étaient en communion. On ne pouvait sur ce point attaquer de front l’empereur Alexandre ; il n’était possible à M. de Nesselrode de lutter contre Capo d’Istria qu’en semant partout des craintes sur les redoutables progrès de l’esprit d’insurrection.

Déjà, à la fin de 1815, l’empereur Alexandre avait conçu le projet de la sainte-alliance, projet qui, dans l’origine, n’était que le ré-