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REVUE DES DEUX MONDES.

VAN BUCK.

Jamais. Où as-tu pris cela ?

VALENTIN.

Mettons cinquante. Vous êtes jeune, gaillard encore, et bon vivant. Croyez-vous que cela me fâche, et que j’aie soif de votre bien ? Vous ne me faites pas tant d’injure, et vous savez que les mauvaises têtes n’ont pas toujours les plus mauvais cœurs. Vous me querellez de ma robe de chambre : vous en avez porté bien d’autres. Ma barbe en pointe ne veut pas dire que je sois un saint-simonien : je respecte trop l’héritage. Vous vous plaignez de mes gilets ; voulez-vous qu’on sorte en chemise ? Vous me dites que je suis pauvre, et que mes amis ne le sont pas ; tant mieux pour eux, ce n’est pas ma faute. Vous imaginez qu’ils me gâtent et que leur exemple me rend dédaigneux : je ne le suis que de ce qui m’ennuie, et puisque vous payez mes dettes, vous voyez bien que je n’emprunte pas. Vous me reprochez d’aller en fiacre : c’est que je n’ai pas de voiture. Je prends, dites-vous, en rentrant, ma chandelle chez mon portier : c’est pour ne pas monter sans lumière ; à quoi bon se casser le cou ? Vous voudriez me voir un état : faites-moi nommer premier ministre, et vous verrez comme je ferai mon chemin. Mais quand je serai surnuméraire dans l’entresol d’un avoué, je vous demande ce que j’y apprendrai, sinon que tout est vanité. Vous dites que je joue à la bouillotte : c’est que j’y gagne quand j’ai brelan ; mais soyez sûr que je n’y perds pas plus tôt que je me repens de ma sottise. Ce serait, dites-vous, autre chose, si je descendais d’un beau cheval, pour entrer dans un bon hôtel : je le crois bien ; vous en parlez à votre aise. Vous ajoutez que vous êtes fier, quoique vous ayez vendu du guingan ; et plût à Dieu que j’en vendisse ! ce serait la preuve que je pourrais en acheter. Pour ma noblesse, elle m’est aussi chère qu’elle peut vous l’être à vous-même ; mais c’est pourquoi je ne m’attèle pas, ni plus que moi les chevaux de pur sang. Tenez, mon oncle, ou je me trompe, ou vous n’avez pas déjeuné. Vous êtes resté le cœur à jeun sur cette maudite lettre de change ; avalons-la de compagnie, je vais demander le chocolat.

(Il sonne. On sert à déjeuner.)
VAN BUCK.

Quel déjeuner ! Le diable m’emporte ! tu vis comme un prince.

VALENTIN.

Eh ! que voulez-vous ? quand on meurt de faim, il faut bien tâcher de se distraire.

(Ils s’attablent.)
VAN BUCK.

Je suis sûr que, parce que je me mets là, tu te figures que je te pardonne.