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DANTE, PÉTRARQUE ET BOCCACE.

notez-le bien, toute politique, et nullement religieuse. Dante dit à la fin du traité : « Je ne soutiens pas que l’empereur soit en tout indépendant du pontife romain ; César doit à saint Pierre la même vénération qu’un fils aîné doit à son père. » M. Rossetti s’est bien gardé de citer ce passage ; il y a de quoi ruiner son système de fond en comble.

Selon lui, Dante a dévoilé son dessein profane dans les deux premiers vers d’une épitaphe latine. Voici le corps du délit :

Jura monarchiæ, superos, Phlegethonta, lacusque
Lustrando cecini, voluerunt fata quousque.

Des lecteurs trop confians n’y verront d’abord qu’une énumération des œuvres de Dante, de l’opuscule en question, et des trois parties de la Divine Comédie. Mais notre subtil interprète démontre que Dante a composé son grand poème uniquement dans le but de faire ressortir les droits de la monarchie ; ensuite, les droits de la monarchie, cela signifie le triomphe de la secte, le renversement du saint-siége, et je ne sais quels autres mystères d’iniquité. Il faudrait, avant tout, s’assurer que ces détestables hexamètres, rimés dans le goût monacal et pleins d’expressions louches, sont de la main de Dante, ce que je nie positivement. Je pourrais appuyer ma négation de preuves très fortes, si je ne craignais pas d’avoir épuisé la patience du lecteur.

À cette occasion, trouvant inconcevable que tout le monde ait entendu la Divine Comédie autrement que lui, M. Rossetti s’écrie : « Quel est donc ce charme, ce talisman ? Et à présent, le charme est-il rompu ? Le talisman est-il brisé ? Il a duré, il dure et il durera toujours ; et celui qui a perdu son temps à écrire ces pages, ou ne sera pas lu, ou sera regardé comme un fanatique, qui voit ce qui n’existe nulle part ailleurs que dans son cerveau démonté, et prend ses fausses idées pour des argumens et des raisons. » C’est un triste pronostic que l’auteur se fait à lui-même : nous n’avons garde de le contredire. Oui, cela est déjà arrivé, cela arrive en ce moment, et cela pourra parfois arriver encore. Bientôt l’oubli lui accordera une trêve indéfinie ; son livre sera relégué dans quelques bibliothèques à côté des Goropius Becanus et des Olaüs Rudbeckius. — M. Rossetti continue : « Peut-être même l’auteur sera détesté comme un impie, ennemi de l’église catholi-