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LES BARDES.

de volupté qui faisait dire à Ragnar : « Quand j’étais au milieu des lances, j’éprouvais une aussi grande joie que si j’avais serré dans mes bras une jeune fille éclatante de beauté ? » Le barde et le scalde ne tiennent-ils pas ici le même langage ?

Voilà pour la ressemblance ; quant aux différences de caractère qui distinguent la poésie germanique de la poésie celtique, on les appréciera par les fragmens que je citerai de cette dernière.

Il paraît qu’il arriva aux bardes gaulois ce qui arrive en général aux organes de la poésie primitive ; ils déchurent de la situation élevée qu’ils occupaient d’abord à côté des druides ; ils tombèrent dans une position inférieure et précaire, dans la dépendance et sous le patronage des chefs des tribus gauloises. Cette situation sociale est d’autant plus à remarquer, qu’elle se reproduit avec des analogies frappantes partout où les bardes ont subsisté : dans le pays de Galles, en Irlande et en Écosse.

Une anecdote, rapportée par Athénée, d’après Possidonius, qui visita la Gaule, montre ce que cette relation des bardes et des chefs gaulois était devenue environ cinquante ans avant la conquête de César.

À cette époque, c’était l’usage parmi les chefs gaulois de rassembler dans les festins un grand nombre de bardes, et la munificence à leur égard était une vertu que leurs louanges, comme on va le voir, ne manquaient pas d’exalter. Luerius ou Luernius, roi des Arvernes, passait pour le plus magnifique des rois de la Gaule ; il était la providence des bardes et leur héros. « Un jour, dit Possidonius, qu’il avait donné un grand repas, un certain poète barbare, s’étant attardé, trouva Luerius qui partait ; alors allant à la rencontre de Luerius avec des chants, il se mit à exalter le mérite du chef et à déplorer son propre retard. Luerius charmé demanda une bourse d’or et la jeta au poète, tandis qu’il courait à côté du char. Le poète, l’ayant ramassée, recommença ses hymnes, disant : « Les vestiges de ton char sur la terre font germer l’or et les bienfaits. »

L’attitude du barde, courant auprès des roues du char, à peu près comme les mendians qui suivent en chantant une chaise de poste à la montée, et remerciant par des louanges outrées de la bourse qu’on a bien voulu lui jeter ; cette attitude n’offre rien de fort élevé ; on y sent la dégradation où étaient déjà tombés, si