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GABRIEL NAUDÉ.

tent et boudeur, et la portion incisive, joyeusement mordante, un peu égoïste du Pantagruel de Rabelais, qu’il avait, dit-on, commenté. C’était, à tout prendre, un homme très singulier et plein de contradictions, incrédule, disant que l’enfer est un feu qui fait bouillir la marmite du clergé, comme Calvin dit que le purgatoire est la chimie du pape, et après cela se disputant vivement avec un conseiller aux monnaies, pour la préséance dans une procession. Il avait encore d’étranges antipathies, il était entier et excentrique dans ses jugemens. Ainsi, il ne parlait qu’avec horreur des Anglais : « Ils lui étaient, dit-il, parmi les peuples, ce qu’est le loup parmi les brutes. » Il détestait aussi le Mazarin, parce que sa maison de Cormeille avait été dans la guerre dévalisée par les soldats. À part sa bibliothèque, qui avait dix mille volumes, à part quelques amis littéraires, Patin n’eut guère d’affection de cœur. Sa place de doyen de l’école de médecine et de professeur au collége royal, ainsi que ses études et ses malades, lui demandaient beaucoup de temps et ne le laissaient guère aux jouissances intimes du foyer. Il n’aimait pas d’ailleurs, il le dit lui-même, à se donner grand souci. Tout pour lui, dans la vie, en dehors de la science, se rapportait à peu près à l’argent. Ainsi, il écrit à un ami, en se mariant, que sa femme lui apporte vingt mille écus, sur père et mère vivans encore. Autre part, à propos de son beau-père, il dit, et on comprendra facilement que ce n’est pas moi qui parle : « Ces gens-là ressemblent à des cochons qui laissent tout en mourant, et qui ne sont bons qu’après leur mort. »

Guy-Patin était très flatté des fréquentes invitations de Lamoignon, il en parle à chaque instant dans ses lettres ; mais bien qu’il se crût honoré de ses rapports avec l’illustre magistrat, sa fierté se trouva piquée quand Delorme écrivit que M. de Lamoignon était son Mécènes. On dit pourtant que quelques grands lui offraient un louis d’or sous l’assiette chaque fois qu’il allait dîner chez eux.

La hardiesse de Patin ne s’étendait pas seulement aux choses de la religion ; il disait des rois : « Ce sont d’étranges gens que les princes d’aujourd’hui, et peut être que tels ont été pareillement ceux du temps passé. » Au fond des opinions de Guy-Patin perce donc partout un scepticisme ironique et chagrin. La vie n’est pour lui qu’une assez mauvaise farce jouée sur de mauvaises planches par des gens qui ne se connaissent pas et qui espèrent se revoir dans les coulisses[1]. À part ses ouvrages sur la médecine, il ne reste qu’un seul monument littéraire de Guy-Patin : ce sont ses lettres, correspondance charmante, pleine de mensonges et de médisances, de méchancetés et de sarcasmes, comme un journal d’aujourd’hui.

  1. Lettres choisies, tom. i, pag. 203.