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attribuer cet enthousiasme militaire à l’influence chevaleresque des romanceros espagnols, ou à celle de Strozzi. Mais on n’écrivait à cette époque que la dague posée à côté de l’encrier et les éperons appendus à la bibliothèque. C’est un élan général et irrésistible. Le grand Descartes prend du service en Hollande et en Bavière ; Scudéry se vante de mieux quarrer des bataillons que des périodes et d’avoir employé plus de mèches d’arquebuse que de mèches de chandelle. Naudé lui-même, par une admiration étrange pour l’état militaire, déclare le métier de la guerre au-dessus de ceux « qui passent inutilement leur vie à l’ombre d’une bibliothèque[1]. » Il recueillit même plus tard le résultat des conférences stratégiques de Gentilly, dans un ouvrage spécial[2] qui n’a pas fait oublier Végèce et qu’ont fait oublier Folard et Montecuculli. On voit, par cette tournure guerrière et à demi politique, que les amis de Naudé avaient subi, ainsi que lui, du moins en un certain point, l’influence des idées du temps et des ridicules de l’époque. Toutefois ce cercle philosophique, dont Gassendi fut le principal représentant, eut, il faut le dire, une immense influence sur les destinées de la philosophie ; son esprit, après avoir traversé le xviie siècle en se tenant obscurément caché, et plutôt à l’état d’application qu’à l’état de théorie, dans les réunions de Molière, de Chapelle, de Ninon de l’Enclos, leva hautement la tête, quand le haut clergé du règne de Louis XIV eut perdu son éclat, et quand l’école sombre et claustrale de Port-Royal n’osa plus paraître au grand jour. Alors la philosophie de Gassendi et de ses adeptes, qui avait été d’abord propagée par le voyageur Bernier et l’aventureux Sorbière, fut poussée à ses dernières conséquences. Sensualiste avec Locke et Condillac, rouée avec la régence, impie avec Voltaire, athée avec d’Holbach, elle vint achever son rôle dans un cachot de Bourg-la-Reine, le jour où s’y empoisonna, pour éviter l’échafaud, le dernier représentant de ces théories, le marquis de Condorcet. La tempête révolutionnaire, qui entraîna dans l’abîme tant d’autels, tant de trônes, et qui jeta au Panthéon Marat à côté de Descartes, sut briser tous ces systèmes et lancer l’esprit humain, lesté du passé, comme un puissant vaisseau dans les flots de l’avenir. Le sensualisme tâcha pourtant un moment de se mettre à sa remorque et de le suivre ; vain effort qui rappelle quelque peu l’inutile dévouement de Cynégire.

Les réunions d’Auteuil chez Mme Helvétius durent avoir des points de ressemblance avec les soupers de Gentilly. Cabanis et Garat devaient y dire, seulement avec plus d’esprit et de convenance, bien des choses

  1. Addition à l’hist. de Louis XI, pag. 11.
  2. De studio militari.