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de Paul Jove ou de Galilée. Bien que ces poésies, malgré quelque finesse dans la pensée, et assez de délicatesse dans l’éloge, méritent en tout l’oubli où elles dorment, on y trouve pourtant, à la fin du volume, une élégie touchante sur la mort du cardinal de Bagni. Mais Naudé n’eut pas à jouir long-temps de ces distractions littéraires. La fortune de Mazarin s’éclipsa, et le parlement, par une mesure peu digne de lui, voulut faire vendre cette bibliothèque, qui avait coûté à Naudé tant de peines, tant de voyages. Qu’on juge de l’indignation du savant bibliophile ; son plus cher enfant lui était cruellement enlevé. Il se raidit contre cette tyrannie, et il adressa au parlement une supplique pleine de vigueur et de mesure, où le respect a peine à contenir la colère. Cette pièce est admirable d’héroïque résistance, et l’ame de Naudé y est tout entière. Ab ungue leonem. Il supplie noblement et menace presque les conseillers du parlement : « Messeigneurs, leur dit-il, pouvez-vous endurer que cette belle fleur qui respand désia son odeur par tout le monde se flétrisse entre vos mains ? » Mais, par une singulière préoccupation de haine personnelle, le parlement ne fit pas droit aux réclamations de Naudé, et l’écrivain pauvre et modeste s’imposa un sacrifice au-dessus de ses forces, en rachetant pour 3,500 livres tous les ouvrages de médecine de la bibliothèque du cardinal. Heureusement le projet anti-national du parlement n’eut pas de suite.

Mais que deviendra Naudé ? Plus de bibliothèque à ranger, plus de livres à acheter. Que fera ce goinfre en fait de livres, helluo librorum, comme l’appelle Niceron. D’ailleurs, ainsi qu’il le dit lui-même, tout le monde à Paris le regardait de côté, sans doute parce qu’il avait prêté sa plume à Mazarin. Il se décida bientôt à quitter la France. Vossius le fit nommer bibliothécaire de Christine, et il partit pour la Suède en 1652, avec Bochart, le ministre de Caen. Tout le monde sait le caractère de Christine. On trouve dans le recueil des harangues qui lui furent adressées lors de son voyage en France, plusieurs portraits d’elle fort ressemblans. « Elle a, y est-il dit, l’esprit porté aux choses héroïques, surtout à la justice ; mais elle est comme les hommes agiles qui sont devenus paralytiques ; ils peuvent discourir et non agir. » On y voit encore qu’elle s’habillait à la manière des hommes dont elle avait toutes les façons ; comme eux, elle portait épée et perruque, et, pour comble, on lui reprochait de jurer quelquefois et d’être fort libre en ses discours. Elle entrait galamment en conversation, prenait la main aux hommes, et le premier venu de la cour était peut-être son intime ami. Femme d’un esprit viril jusqu’au crime, selon l’énergique expression de M. Villemain, elle passait tour à tour des découvertes de Meibomius à la métaphysique de Descartes. Gassendi la félicitait d’accomplir le vœu de Platon qui voulait des rois philosophes, et à propos de quelques calomnies, il lui disait : « Vous marchez sur l’Olympe, bien au-dessus de la foudre. » Extrême