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REVUE DES DEUX MONDES.


Fille de ravisseurs, sans semer tu moissonnes ;
Des guirlandes d’autrui tu te fais tes couronnes ;
Aux prophètes vieillis tu dérobes leurs cieux.
Quand tes Lares sont nus, pour les vêtir de soie,
Dans les tombeaux de Troie,
Tu ravis le linceul à l’épaule des Dieux.

Hors du monde des sens pour toi tout est chimère ;
Et ton vers parasite à la table d’Homère
N’a foi qu’en ses cinq pieds de dactyles chaussés.
Tu crois qu’au lieu de l’ame un lambeau d’anapeste,
Comme un Mercure ailé, porte au faîte céleste
Tes larcins cadencés ;

Que l’iambe inégal peut forger sur l’enclume,
Comme un Vulcain boiteux, sans que le cœur s’allume,
De deux coups de marteau ses brûlans javelots ;
Et que mieux qu’une veuve en sa douleur voilée,
Auprès d’un mausolée,
Un spondée, à pas lents, va traîner ses sanglots.

Le métier use en toi la verve sibylline.
Tu fardes ta Vénus du fard de Messaline ;
De Delphes sans profit tu pilles le trésor ;
Rien n’enrichit jamais les cythares menteuses,
Et c’est en vain qu’au front des prières boiteuses
Tu mets un masque d’or.

Voilà, voilà comment, quittant le laticlave,
Et ceignant à ses reins ta ceinture d’esclave.
L’art se fit artisan au fond des lupanars.
Ouvrier des Pisons à la courte tunique,
Dans ta geôle classique,
Il tourna sur le grain la meule des Césars.

Tous les grands ciseleurs d’une vide parole,
Tous les beaux désespoirs qu’une rime console.
Tous les prophètes faux dans leur vaste cité,
Des poètes sans cœur les rampantes extases,
Tous les limeurs de mots, les artisans de phrases,
Sont ta postérité.

Ah ! si pour apaiser la fièvre de notre âge,
À l’ame il faut verser un antique breuvage,