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fils, étendus morts sur un rivage lointain, sont la proie des vautours et des poissons.
Il n’y a pas moins de grandeur dans ce chant d’un roi d’Hamalh banni de ses états :
Ammisus m’a chassé de la ville ; mes serviteurs m’ont accablé de leurs railleries ; mais je ferai fouetter mes serviteurs et je tuerai Ammisus.
Autrefois je reposais sur la pourpre de Tyr, et mon coussin était fait de soie babylonienne.
Mais croyez-vous que je tremble parce que l’obscurité descend sur la forêt et que l’orage passe à travers les arbres comme un lion rugissant ?
Croyez-vous que je m’épouvante à l’aspect des rochers qui brillent à la clarté de la lune et des pâles fantômes qui surgissent de chaque motte de terre ?
Le lion est-il sans courage dans son obscure tanière ? Avez-vous jamais vu le sanglier saisi de crainte ? Le sanglier sauvage parcourt sans effroi les ravins de la montagne, et le rugissement du lion fait trembler ses ennemis.
Après la lecture de ces divers extraits, on concevra que des hommes tels que Gesenius et Grotefend aient cru à l’authenticité du livre auquel nous les avons empruntés. L’opinion de M. Grotefend a changé, il est vrai, mais ses doutes actuels paraissent plutôt tenir aux renseignemens qui lui sont parvenus sur le caractère de M. Wagenfeld qu’à l’ouvrage en lui-même. D’ailleurs, la lettre de M. Grotefend ne prouve pas que la falsification soit complète, puisqu’il paraît croire à l’existence d’un manuscrit que M. Wagenfeld aurait altéré. La publication du texte grec, qui est formellement promise, viendra bientôt fournir des armes sûres à la critique, et si, en définitive, il faut voir dans M. Wagenfeld un successeur d’Annius de Viterbe et de Ligori, on ne pourra s’empêcher de regretter qu’avec tant de science, avec un sentiment si profond des antiquités sémitiques, une imagination si poétique et si féconde, il ait compromis son avenir littéraire en se rendant coupable d’une supercherie qui ne peut nuire en rien à ceux qu’il aurait trompés, mais qui porterait à jamais atteinte à son caractère et à son honneur.


Ph. Le Bas.