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hostile, qui s’épuisent en des luttes sans fin, ne disparaissent pas bientôt dans les torrens de sang qu’elles font couler. La conduite du vainqueur de Constantinople donne raison de cette singularité. Pour repeupler sa capitale presque déserte, il enlève les plus riches familles des villes conquises en Illyrie, en Bosnie, dans la Crimée, en Grèce, dans l’Asie mineure. Un très petit nombre de ces colons, ceux de Karamanie, sont musulmans : les autres appartiennent à différens rites chrétiens. Toutes les institutions de Mohammed II, le véritable fondateur de l’empire, tendent à créer un peuple en assimilant les élémens hétérogènes que lui offre la victoire. Mais la puissance qu’il a si laborieusement enfantée est-elle née viable ? Possède-t-elle du moins les principes de stabilité et de régénération que nous attribuons aux grands états du système européen ? C’est le problème du siècle que la diplomatie moderne aura bientôt tranché définitivement, et dont on peut prévoir la solution dans le grave et savant travail de M. de Hammer.

Beaucoup d’écrivains s’occupent de l’histoire et des destinées de l’Espagne, qui partage avec la Turquie l’attention de l’Europe. Ce n’est pas que l’Espagne par elle-même et directement ait un grand poids à jeter dans la balance. Depuis long-temps, elle n’est dans la politique générale que l’appendice de la France. Mais en reproduisant successivement chaque phase de notre situation, elle l’exagère jusqu’au radicalisme. Ainsi elle réagit sur nous et par nous sur les autres nations. Une nouvelle histoire d’Espagne et de Portugal, par M. Paquis, réduit à de justes proportions les volumineuses annales du jésuite Mariana, de Ferreras et de La Clède. Le judicieux éditeur n’a pas négligé les travaux de la critique moderne. Les établissemens civils et religieux des Wisigoths sont exposés d’après l’école historique des jurisconsultes allemands. Pour la domination des Arabes on fait intervenir souvent les orientalistes, et notamment M. Lembkè, qui a consulté plusieurs manuscrits inconnus à ses prédécesseurs. À juger par les premières livraisons, l’histoire générale de la Péninsule sera enfin résumée dans un livre consciencieux et intelligent.

Notre curiosité est plus directement excitée par l’ouvrage de M. Toreno : Histoire du soulèvement, de la guerre et de la révolution d’Espagne[1]. Quelles que soient les destinées que l’avenir réserve au peuple espagnol, il ne peut plus se soustraire au grand mouvement de réforme qui emporte les sociétés. Or, la crise régénératrice qui lui a ouvert cette carrière immense, c’est la guerre de l’indépendance. C’est donc là qu’il faut remonter pour prendre une idée complète de l’Espagne du xixe siècle. Les nations ont dans leur vie des époques où elles se trempent, comme

  1. vol. in-8o. Paulin, éditeur, rue de Seine-Saint-Germain, 33.