Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/628

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.




LES
AMITIÉS LITTÉRAIRES.

Si les poètes de nos jours, en se plaignant de la critique, n’allaient pas au-delà du reproche d’injustice et d’ignorance, la critique devrait se taire et accepter l’accusation comme inoffensive ; dans tous les temps, les hommes qui produisent des œuvres d’imagination ont eu pour leurs paroles et leurs pensées une admiration persévérante et obstinée ; dans tous les temps, soit à l’aurore, soit au déclin de leur gloire, ils se sont crus méconnus par leur siècle ; cette plainte éternelle et vulgaire ne mérite pas d’être discutée. Car pour un Milton réduit à tenir une école, achevant un poème immortel dans la solitude et la pauvreté, combien de rimeurs sans verve et sans génie, qui alignent des mots et comptent des syllabes, et qui réussissent à monnoyer leur emphase et leur jactance ! Mais les poètes de nos jours vont plus loin dans leurs reproches que les poètes d’autrefois ; à les entendre, ils n’ont pour juges que leurs élèves ; souvent la critique ne saurait où prendre les premiers élémens de la discussion ; sans leurs leçons bienveillantes, les commentateurs seraient muets et réduits à la plus docile des adorations ; aussi, dès que leur mérite est mis en question, dès que le doute ose atteindre un seul de leurs poèmes, ils crient à l’ingratitude. Ce dernier reproche est plus grave que celui d’injustice et