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active, impétueuse, l’autre calme, réfléchie, prévoyante. En même temps qu’il invente, il sait pourquoi il invente ; il ne va plus se jeter tête baissée dans les abîmes sans fond ; il mesure le danger avant de l’affronter, et s’il échoue dans une hardie tentative, du moins il n’a pas à se repentir de sa présomption ou de son ignorance ; il ne reçoit que les blessures au devant desquelles il a marché ; et certes dans la douleur même, si cuisante qu’elle soit, c’est une consolation puissante de se souvenir que la douleur était prévue. Or, je crois être dans la vérité en affirmant que le poète livré à lui-même, sans ami et sans interlocuteur, n’ayant pour s’éprouver chaque jour que sa seule conscience, ne recueillerait pas une si riche moisson de clairvoyance et de sagacité, qu’il ferait souvent fausse route, et qu’après avoir trébuché, il n’aurait pas toujours le courage de se remettre en marche. Sans l’amitié il serait peut-être aussi fort, mais il ne serait pas aussi persévérant.

De son côté, le confident du poète s’éclaire par les questions même qu’il lui adresse. En le voyant à l’œuvre, en assistant chaque jour aux progrès de la pensée qui est née sous ses yeux, en surveillant avec une attention assidue l’épanouissement et la floraison du germe déposé dans le sol fécond de la réflexion, il acquiert fatalement une subtilité d’interrogation, une précision de curiosité qu’il n’aurait jamais pu atteindre, s’il n’avait pas eu devant lui l’expérience vivante de la poésie, le spectacle intérieur d’une intelligence aux prises avec l’inspiration. L’étude vigilante de l’œuvre qui s’accomplit sous ses yeux développe en lui une finesse de jugement, une délicatesse de perception à laquelle il ne serait jamais arrivé sans le secours de cette stimulation quotidienne. Les impressions de chaque jour éveillent en lui une sensibilité qui ne se serait jamais manifestée, si elle n’eût pas été sollicitée par la présence d’une œuvre inachevée, dont chaque agrandissement est pour lui un problème d’un égal intérêt, d’une égale nouveauté. Certes la lecture attentive des monumens de la poésie antique et moderne peut révéler aux intelligences sérieuses bien des secrets de composition, et développer chez elles une rare pureté de goût. La comparaison de ces monumens entre eux, et des transformations successives à l’aide desquelles ils s’engendrent dans un ordre logique, peut fournir des données précieuses sur la perpétuité de la tradition, sur la valeur de la nouveauté envisagée