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que si un ministère énergique sait en profiter, don Carlos est perdu, et que son parti sera bientôt anéanti dans toute l’Espagne. Nous voudrions l’espérer comme elle ; mais nous avons de bonnes raisons pour en douter.

Au reste, le rôle de la France n’était certainement pas d’intervenir dans les querelles intérieures des diverses nuances du parti libéral espagnol ; mais nous croyons (et il ne s’agit ici que du passé, nous parlons de ce qui aurait dû être fait autrefois, de ce qui aurait assurément prévenu de grands malheurs), nous croyons que si une armée française avait mis fin à la guerre civile des provinces basques et de la Navarre, le peuple espagnol aurait eu à bénir l’intervention de la France dans ses affaires, que la liberté n’y aurait rien perdu, et que l’humanité y aurait beaucoup gagné.

C’est un autre système qui a prévalu. Le ministre de l’intérieur et M. Pelet (de la Lozère), dit-on, ne voulaient pas engager la France dans une entreprise qu’ils estimaient fort chanceuse, et qui aurait coûté beaucoup d’argent, dans un pays dont les dispositions à notre égard sont si équivoques, pour un résultat incertain, qui pourrait tromper tous les désirs et tourner contre toutes les espérances du gouvernement, en faveur d’une cause déjà souillée par tant d’excès, d’une reine qui peut-être ne conserverait pas le pouvoir, d’un peuple fort rétif aux conseils de ses alliés, et à qui des influences ennemies feraient croire sa liberté menacée quand on ne voudrait que la sauver. Un auguste personnage a toujours été de cet avis : on lui prête même un propos familier que nous ne rapporterons pas, mais qui revient à dire que l’Espagne n’est bonne à prendre par aucun bout, qu’elle ne peut être qu’un embarras, et qu’il ne faut plus s’en mêler.

Nous ne savons pas encore quel est le ministère qui acceptera cette politique d’observation et de laisser faire. On a mis en avant les noms de

M. Molé, pour les affaires étrangères, avec la présidence du conseil ;
M. de Montalivet, pour l’intérieur, où il resterait ;
M. Guizot, pour l’instruction publique ;
M. Duchâtel, pour les finances ;
M. Persil, pour la justice ;
M. de Mackau, pour la marine ;
M. de Caux ou le maréchal Molitor pour la guerre.

Mais il paraît que les divers élémens dont se composerait ce ministère ne parviennent pas à s’entendre ; M. Guizot ne veut pas mettre vis-à-vis de M. Molé toute l’abnégation, toute la confiance qu’il avait apportée dans la composition du cabinet présidé par M. de Broglie ; il réclame, dit-on, un ministre de plus pris dans le parti qui le reconnaît pour son chef, afin de se fortifier dans le conseil, où il n’aurait, en apparence, qu’une position secondaire. Ces difficultés nous menacent d’un long interrègne ministériel et entretiennent un provisoire absurde et préjudiciable aux affaires, qui fatigue tout le monde. Elles se renouvellent trop souvent pour ne pas être prises au sérieux et pour ne pas jeter dans les esprits l’idée d’une instabilité qui les inquiète à bon droit, et à laquelle on suppose des causes bien profondes. Oh ! la France politique ne ressemble guère à l’Angleterre,