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arriva. Mme Javart, qui porte perruque et qui s’imaginait qu’on n’en savait rien, ayant fait ce jour-là de grands frais de toilette, avait fiché dans sa coiffure une petite poignée de marabouts ; elle était à la droite du receveur, et ils causaient de littérature ; peu à peu la discussion s’échauffa ; Mme Javart, classique entêtée, se prononça pour l’abbé Delille ; le receveur l’appela perruque, et par une fatalité déplorable, au moment où il prononçait ce mot, d’un ton de voix passablement violent, les marabouts de Mme Javart prirent feu à une bougie placée auprès d’elle ; elle n’en sentait rien et continuait de s’agiter, quand le receveur, la voyant toute en flammes, saisit les marabouts et les arracha ; malheureusement le toupet tout entier quitta la tête de la pauvre femme, qui se trouva tout à coup exposée aux regards, le chef complètement dégarni. Mme Javart, ignorant le danger qu’elle avait couru, crut que le receveur la décoiffait pour ajouter le geste à la parole, et comme elle était en train de manger un œuf à la coque, elle le lui lança au visage ; le receveur en fut aveuglé ; le jaune couvrait sa chemise et son gilet, et n’ayant voulu que rendre un service, il fut impossible de l’apaiser, quelque effort qu’on fît pour cela ; Mme Javart, de son côté, se leva et sortit en fureur ; elle traversa toute la ville sa perruque à la main, malgré les prières de sa servante, et perdit connaissance en rentrant chez elle. Jamais elle n’a voulu croire que le feu eût pris à ses marabouts ; elle soutient encore qu’on l’a outragée de la manière la plus inconvenante, et vous pensez le bruit qu’elle en a fait. Voilà, monsieur, comment nous devînmes romantiques à la Ferté-sous-Jouarre.

Cependant, Cotonet et moi, nous résolûmes d’approfondir la question, et de nous rendre compte des querelles qui divisaient tant d’esprits habiles. Nous avons fait de bonnes études, Cotonet surtout, qui est notaire et qui s’occupe d’ornithologie. Nous crûmes d’abord, pendant deux ans, que le romantisme, en matière d’écriture, ne s’appliquait qu’au théâtre, et qu’il se distinguait du classique parce qu’il se passait des unités. C’était clair ; Shakspeare, par exemple, fait voyager les gens de Rome à Londres, et d’Athènes à Alexandrie, en un quart d’heure ; ses héros vivent dix ou vingt ans dans un entr’acte ; ses héroïnes, anges de vertu pendant toute une scène, n’ont qu’à passer dans la coulisse pour reparaître mariées, adultères, veuves et grand’mères. Voilà, disions-