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SUR L’ABUS DES ADJECTIFS.

un verre d’eau, ses Andalouses qui font plus vite encore un petit métier moins dépeuplant, ses taureaux, ses toréadors, matadors, etc…, j’y souscris. Quoi enfin ? Quand nous aurons tout imité, copié, plagié, traduit et compilé, qu’y a-t-il là de romantique ? Il n’y a rien de moins nouveau sous le ciel que de compiler et de plagier. »

Ainsi raisonnait Cotonet, et nous tombions de mal en pis ; car, examinée sous ce point de vue, la question se rétrécissait singulièrement. Le classique ne serait-il donc que l’imitation de la poésie grecque, et le romantique que l’imitation des poésies allemande, anglaise et espagnole ? Diable ! que deviendraient alors tant de beaux discours sur Boileau et sur Aristote, sur l’antiquité et le christianisme, sur le génie et la liberté, sur le passé et sur l’avenir, etc… ? C’est impossible ; quelque chose nous criait que ce ne pouvait être là le résultat de recherches si curieuses et si empressées. Ne serait-ce pas, pensâmes-nous, seulement affaire de forme ? Ce romantisme indéchiffrable ne consisterait-il pas dans ce vers brisé dont on fait assez de bruit dans le monde ? Mais non ; car, dans leurs plaidoyers, nous voyons les auteurs nouveaux citer Molière et quelques autres comme ayant donné l’exemple de cette méthode ; le vers brisé, d’ailleurs, est horrible ; il faut dire plus, il est impie ; c’est un sacrilége envers les dieux, une offense à la muse.

Je vous expose naïvement, monsieur, toute la suite de nos tribulations, et si vous trouvez mon récit un peu long, il faut songer à douze ans de souffrances ; nous avançons, ne vous inquiétez pas. De 1830 à 1831, nous crûmes que le romantisme était le genre historique, ou, si vous voulez, cette manie qui, depuis peu, a pris nos auteurs d’appeler des personnages de romans et de mélodrames Charlemagne, François Ier ou Henri IV, au lieu d’Amadis, d’Oronte, ou de Saint-Albin. Mlle de Scudéry est, je crois, la première qui ait donné en France l’exemple de cette mode, et beaucoup de gens disent du mal des ouvrages de cette demoiselle, qui ne les ont certainement pas lus. Nous ne prétendons pas les juger ici ; ils ont fait les délices du siècle le plus poli, le plus classique et le plus galant du monde ; mais ils nous ont semblé aussi vraisemblables, mieux écrits, et guère plus ridicules que certains romans de nos jours dont on ne parlera pas si long-temps.