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LETTRES SUR L’ISLANDE.

et c’était une admirable chose que le calme de cette frêle église au bord de la mer agitée, l’aspect de cette croix au milieu de la solitude, et l’harmonie de ces voix religieuses passant à travers le bruit des vagues, et les sifflemens du vent.

Tout ce qu’il y a de grave et de poétique dans ces diverses contrées de l’Islande, s’accroît encore si l’on y passe avec les divers souvenirs historiques qui s’y rattachent ; car chacune de ces baies, de ces vallées, de ces montagnes, a sa place marquée dans les anciennes sagas, ou dans les annales modernes. Souvent cette histoire est triste ; c’est le récit d’une éruption de volcan, le tableau d’une famine, d’une épidémie et de tous ces fléaux qui ont traversé l’Islande à chaque siècle. Mais en remontant plus haut, elle se revêt d’un caractère héroïque qui lui donne un singulier prestige. C’est le temps des Jarls et des Scaldes, le temps des mythes religieux et des combats à main armée. Ici Ingolfr, le premier colon de l’Islande, retrouve les pénates qu’il avait jetés à la mer pour lui indiquer le lieu où il devait aborder ; là vivaient les Sturlungr ; ailleurs est la montagne célèbre dans la saga de Nial. Dans cet humble bœr qu’on trouve auprès du Geyser, Arae Frode, le premier historien de l’Islande, écrivait son Landnama Bok et ses Schedœ. Dans cet autre, non loin de Breidabolstad, Sœmund chantait l’Edda. Il n’y a plus ici, il est vrai, de monumens primitifs ; les uns ont disparu avec le temps, les autres ont été transportés à Copenhague. Mais l’histoire est là qui indique à chaque pas l’endroit qu’il faut voir et le nom qu’il faut y chercher.

Le lieu le plus célèbre de l’Islande, c’est Thingvalla[1]. C’est là que, dans les premiers temps de la république, les principaux habitans du pays avaient organisé un gouvernement central ; c’est là que chaque année se tenaient ces assemblées générales, ces althing, espèces de champ-de-mars, où l’on venait délibérer sur les affaires publiques, et promulguer les nouvelles lois. Là, en l’an 1000, le christianisme fut adopté à la majorité des voix. Là venaient les grands juges, et les deux évêques, et les chefs des différens districts. On réglait les impôts, on lisait à haute voix les principaux contrats de vente et de mariage, car c’était à la fois une assemblée politique et une assemblée de famille. Quand le langmand avait parlé pour tout le pays, le sysselmand parlait pour son canton. Les prêtres tenaient leur synode, le tribunal supérieur jugeait les procès criminels. Non loin du tertre de gazon où il venait siéger, est le rocher où l’on décapitait les hommes, le lac où l’on jetait dans un sac les femmes

  1. J’emploie ici le mot mis en usage par les étrangers. Le vrai mot islandais est Thingvollr, au pluriel Thingvallr (Champs du Thing). Les Islandais écrivent Thing avec un caractère particulier qui manque aux autres alphabets, et qui se prononce en sifflant. C’est le th des Anglais.